Rien de neuf, sous le soleil !…
« Y a-t-il une chose dont on dise : Vois ceci, c’est nouveau ! Elle était
déjà bien avant nous. » Ecclésiaste 1:10
Qui ne s’est jamais écrié en feuilletant le tout nouveau catalogue
présentant la dernière tendance de la mode vestimentaire : « Incroyable ! C’est
ce que je mettais il y a plus de vingt ans ! » ?
Qui n’a contemplé une œuvre d’art préhistorique en murmurant songeur, tout en
se tournant vers un tableau de Picasso : « Décidément, il n’y a rien de nouveau
sous le soleil ! » ?
Qui n’a un jour découvert sa vérité toute neuve et, fier de cette découverte, il
la partage à la ronde, pensant soulever l’enthousiasme général, pour se heurter
à l’indifférence blasée de ceux qui entendent une évidence ?
Qui, face aux combats et aux défis de la vie, ne réalise avec agacement, en
tournant les pages de l’histoire de l’humanité, que le chemin qu’il croyait
innover est déjà labouré par des siècles de prédécesseurs ?
Qui n’a jamais ressenti un goût d’amertume en constatant avec lassitude qu’il
n’y a vraiment rien à innover en ce monde ?
Salomon enfoncerait-il, une nouvelle fois, un clou blessant dans la
fragilité de notre âme ? Bien au contraire ! Une fois de plus sa parole est
source de liberté. Juste après avoir démasqué l’utopie de la course à la
nouveauté, il dénonce l’illusion de penser que l’expérience du passé puisse
profiter à l’avenir : « Il n’y a pas de souvenir du passé, et ce qui sera dans
l’avenir ne laissera pas non plus de souvenir chez ceux qui viendront par la
suite. » (1.11) Autrement dit : il est inutile et vain de chercher à tout prix
à laisser des traces de son passage, car elles seront de toute façon effacées par
le temps qui passe. Combat inutile… Energie gaspillée…
Chaque génération s’agite ainsi sans arrêt, sans réel profit, sans progrès
véritable. Elle est en outre dans l’impossibilité de transmettre à celle qui la
suit l’expérience qu’elle a acquise. Nous voyons avec effroi des idéologies
meurtrières d’il y a à peine deux générations resurgir de nos jours, comme si
l’humanité n’avait rien appris de leur poison. C’est que, comme le pense
l’Ecclésiaste, l’oubli ensevelit ce qu’a vécu la génération précédente. C’est
pourquoi il en sera de même après nous.
Fort de ce désir de laisser des traces, un disciple de Jésus lui fit un
jour fièrement remarquer les belles pierres et les ornements qui faisaient la
gloire du temple de Jérusalem. Symbole de ce que l’homme peut laisser comme
marques sacrées de son passage. Jésus répondit : « Vois-tu ces
grandes constructions ? Il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit
renversée… » (Marc
13.1, 2)
Les œuvres humaines disparaîtront, érodées par le vent, rongées par l’air, anéanties
par le fanatisme… C’est sûr ! Ce qui perdure ce n’est pas la trace, mais l’élan
de l’audace créatrice. C’est pourquoi l’homme spirituel ne se soucie guère de
laisser des traces. Ainsi, les paroles de l’Ecclésiaste ont la saveur de ces
aliments qui, au premier contact, agacent les papilles gustatives puis,
lentement, paisiblement, se mettent à dégager un parfum d’une bienfaisante
douceur. Parce qu’il faut bien le reconnaître : cette course intrépide à la
nouveauté est épuisante et ce besoin de marquer notre passage pour laisser des
traces dans l’avenir nous prive de goûter à la simplicité et à la saveur de
l’instant.
Pourquoi donc nous fatiguer à croire que seule la réalisation de la nouveauté
dans notre existence offre des perspectives et du sens à la vie ? Pourquoi nous
épuiser à démontrer qu’il n’y a que ce que nous laissons derrière nous qui
donne raison à notre présent et à notre existence ?
Comme si nous devions absolument par ces démarches prouver et justifier notre
place sous le soleil ! Vaine course, vain combat…Cessons de croire à la
nécessité de croquer du nouveau pour que la vie ait de la saveur.
Quittons ce besoin fébrile et inquiet de laisser des traces de notre passage. Vivons
plutôt les yeux grands ouverts sur notre présent. Cessons de voyager dans cette
vie comme ces touristes qui traversent en car une somptueuse contrée de
montagnes, de rivières, de lac… volets baissés ! Etrangers et aveugles au paysage
qui défile. Leur seule préoccupation est de se chamailler afin de disposer de
la place la plus confortable, celle qui est la plus en vue et qui reçoit les
honneurs de la foule. Et c’est ainsi jusqu’à la fin du voyage.
Goûtons le bonheur simple de la contemplation, de la compagnie des amis, de
l’éveil à la vie qui nous entoure.
Puis observons dans notre journée toutes nos actions qui sont polluées par le
désir d’attirer l’attention, de recueillir l’approbation, le succès, la
popularité, le pouvoir, l’admiration face à nos innovations. Toutes ces quêtes
épuisantes pour la réussite, pour la célébrité, pour devenir quelqu’un.
Combien s’agitent autour de nous pour gagner le monde, la notoriété et la
reconnaissance… et en souffrent, car leur vie est vide et sans âme. C’est à eux
que Jésus dit : « A quoi servira-t-il à un être humain de gagner le
monde entier, s’il perd son âme ? » (Matthieu 16.26)