Sur
cette pierre, je bâtirai mon église
« Sur
cette pierre, je bâtirai mon église » dit Jésus
(Matthieu
16:13-23 ; 1 Jean 1:1-5)
Et
quelle est cette pierre de fondation ? Au début du récit, on pourrait penser
que c’est la personne de Simon Pierre, mais le récit de l’Évangile se poursuit
et Simon qui vient d’être si génial se révèle être quelque minutes plus tard
exactement dans la pire attitude possible, qualifiée par Jésus de satanique, de
destructrice au lieu de constructrice. Et pourtant, si Jésus donne à Simon le
nom de Pierre qui se rapproche du mot « pierre » qui est utilisé pour la fondation
de son église, c’est bien qu’il y a quelque chose dans ce qu’il fait ou qui lui
arrive ici qui est fondamental dans le projet du Christ, dans son espérance
pour l’humanité.
Alors
quoi ? Il serait possible de penser que la pierre de fondation de l’église est
la confession de foi de Pierre, cette connaissance sur Jésus comme Christ et
fils de Dieu. Mais si l’essentiel était pour Jésus un certain savoir, il lui
aurait suffi de le révéler clairement au lieu d’interdire ici aux disciples de
répéter partout ce que Pierre a dit.
Pourtant,
Jésus invite bien ici à un travail sur la connaissance et la réflexion. Cela
part même de là, d’un sujet de réflexion que leur propose Jésus, un travail
d’enquête : « Au dire des hommes,
qui suis-je, moi, le Fils de l'homme ? » (Verset. 13)
Ensuite,
le cœur de ce récit, relevé par Jésus avec éclat, c’est l’expérience de foi de
Simon Pierre, qui a une révélation directe de Dieu. Qu’est-ce que l’Église aurait
à voir avec cela ? Elle ne peut pas faire automatiquement partager à des gens
une expérience de foi. Mais elle peut « préparer les chemins du Seigneur »,
aider à la rendre possible.
Dans
cet itinéraire de Simon vers son instant de révélation divine, tout commence
par cette enquête que Jésus propose à ses disciples : « Au dire des hommes, qui suis-je, moi, le
Fils de l'homme ? » Cela conduit à rechercher un certain panel de
réponses posées par des individus ou des groupes. La Bible est faite de cela,
c’est un recueil d’interprétations sur l’intervention de Dieu dans notre
histoire.
« Et vous, ajoute ensuite Jésus, qui dites-vous que je suis ? »
Après le recensement des interprétations diverses possibles, il nous appelle à
aller plus loin en interprétant ces interprétations, et en prenant position.
Ce travail
là, sur les interprétations est un premier service que peut rendre l’église du
Christ. Une première pierre de fondation, finalement. Même si ce n’est pas
encore ce cœur de la foi qu’est la révélation directe par le Père qui est dans
les cieux, c’est seulement un travail sur ce que nous révèlent des personnes de
chair et de sang. Mais c’est déjà la foi que de faire cette enquête qui est la
première pierre de la fondation. Car déjà dans cette recherche se creuse une
recherche de Dieu, une curiosité, une gourmandise même, une espérance.
C’est
déjà un bon point. Mais cette recherche apporte plus qu’une ouverture. Elle
travaille sur cette magnifique collection d’interprétations de l’action de Dieu
qu’est la Bible. C’est ce que Jésus appelle à faire ici, et l’église c’est
cela, aussi.
Pourquoi
la Bible ? Ces histoires anciennes se passent à des époques différentes, dans
des circonstances particulières et nous ne sommes pas Jean-Baptiste, Jérémie ou
Abraham... l’action de Dieu est toujours contextuelle, une réponse totalement
individualisée et novatrice. Et comme le dit Jésus, Dieu n’est pas un simple
héros dont on raconterait la geste, mais il est « le père qui est dans les cieux », autrement dit une source
qui est d’une tout autre dimension que la nôtre, ce qu’il révèle ou accomplit
n’est pas facile à raconter avec notre langage qui est fait pour rendre compte
de ce qui est sur terre, dans notre univers. Par conséquent tout témoignage sur
ce que Dieu aurait dit ou fait est toujours de l’ordre de l’interprétation, et
non une transcription ou une vidéo. La Bible est une compilation précieuse
d’interprétations particulièrement marquantes.
C’est
ce que nous voyons dans la Genèse qui commence par deux, voire trois récits
différents de la création par Dieu.
C’est
comme cela que Jean présente son travail, dans sa première lettre, comme une
interprétation de son expérience, ou de leurs expériences à lui et à quelques-uns
de son groupe de travail : « Ce
qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu
de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché,
concernant la parole de la vie... »
Jean
rend bien compte de la difficulté et donc du statut de son texte quand il
explique témoigner de « ce qu’ils
ont contemplé de leurs yeux et touché de leurs mains de la Parole de vie ».
Comment peut-on toucher une parole, et comment parler de ce que ressent une
main par le toucher ? L’auteur doit interpréter l’indicible, quelque chose qui
est de l’ordre du ciel avec des mots de la terre.
L’Église
est riche d’une formidable bibliothèque d’interprétations de l’action de Dieu
dans la vie des humains. Par la Bible, d’abord, et par deux ou trois mille ans
d’interprétation de ces interprétations. Fondamentalement, le culte consiste
d’abord à fouiller dans cette bibliothèque, peut-être à retrouver un de ces
petits feuillets touchants qui sont insérés dans les Bibles de familles, une
prière recopiée, une vieille feuille de sermon, une lettre d’anniversaire
écrite par un frère à sa sœur lui souhaitant la bénédiction de Dieu...
A
quoi cela peut-il nous servir de ruminer ces interprétations de l’action de
Dieu dans des vies humaines particulières ? A ouvrir notre champ du possible.
En effet, il est très difficile de saisir ce que l’on ne connaît pas, ce que
l’on n’imagine même pas.
Comme
Samuel qui ne comprend pas ce qui lui arrive quand Dieu lui parle, jusqu’à ce
que le prophète Élie l’aide à le saisir, ce n’est pas facile. La personne athée
ayant été élevée dans un milieu entièrement matérialiste n’en a que plus de
mérite à saisir, puis à accepter ce qui lui arrive de Dieu. Si cette rencontre
est particulièrement vive, au début, la personne se demande ce qui lui arrive
et peut se croire folle, et puis non, cela passe et cette expérience devient
pour cette personne une pierre de fondation. Si cette rencontre avec Dieu est
plus diffuse, l’athée se dit que non, tout ça n’existe pas et donc que ce
quelque chose qui le titille n’est pas important, sauf quand cela vient et
revient, quand cela dure sur des dizaines d’années.
Creuser
la Bible, interpréter ce trésor d’interprétations nous rend plus disponible
pour voir ce qui pourrait nous arriver de Dieu, ne pas laisser encore passer
notre chance, à la saisir, et à bien l’assimiler. C’est ainsi que Moïse,
Zacharie ou Marie parlent ensuite de leur rencontre avec Dieu, ils le font avec
des tissus de citations bibliques. Auraient-ils pu s’ouvrir à la visite de Dieu
sans cette préparation de leur être à cet inattendu ? Peut-être oui, mais plus
difficilement. Ces textes leurs donnent aussi un vocabulaire et une syntaxe
pour interpréter eux-mêmes ce qui leur est arrivé de particulier.
Derrière
chaque récit biblique il y a une expérience spirituelle d’un croyant qui est
derrière les mots, les récits. Abraham n’a peut-être pas existé en tant que
personnage historique, mais en tout cas derrière ce récit il y a un auteur qui
dit son expérience de Dieu avec ce texte. Son expérience est subjective,
particulière, comme l’est celle de Pierre en suivant Jésus. Toutes ces
interprétations de ce qui leur arrive ouvrent nos schémas du possible avec
Dieu.
Cette
histoire de Pierre est son histoire, et il n’y a donc pas à culpabiliser si
nous ne vivons pas la même. Pas plus que l’histoire de David qui est désigné
par Dieu au prophète Samuel pour qu’il fasse de lui le prochain roi de
préférences à tous ses frères apparemment bien plus excellents. Pourquoi ? Parce
que c’était lui, à ce moment-là. Ce n’est pas notre histoire, et en même temps
c’est possible que nous vivions quelque chose comme cela, à notre façon, d’être
désigné et fortifié par Dieu pour une responsabilité particulière.
Après
avoir intégré ces histoires, comme Jésus invite Pierre à le faire, elles sont
là, dans un coin de notre mémoire, prêtes pour revenir et nous aider à
interpréter ce qui nous arrive. Peut-être que ce que nous avons vu et touché de
la main est une parole de Dieu, comme le dit Jean de façon imagée. Mais
peut-être pas. Car tout ne vient pas de Dieu, parfois c’est juste notre tête ou
nos sentiments qui se font un film. C’est à cela que sert aussi de ne pas
rester seul dans ce travail d’interprétation de notre existence. Car, comme
avec Pierre dans la 2e partie de ce récit, il peut arriver que
nous ayons besoin des autres pour nous dire quand nous délirons.
Comme
le dit Jean, il existe des paroles de Dieu qui se voient et se touchent, des
signes de l’action de Dieu dans ce monde. Christ en est un formidable, mais il
y a aussi de petits signes pour qui sait les voir. Ce sont nos petits buissons
ardents.
Y
a-t-il un risque de sur interpréter notre quotidien en étant dopé par ces
récits bibliques et ces prédications qui ne cessent de les ruminer ? Comment
gérer ce possible jamais certain ? Comment s’ouvrir à la révélation de Dieu
sans s’éparpiller dans le n’importe quoi ?
Cela
doit être fait avec humilité, parfois même avec humour, pour que cela reste
intéressant sans devenir aliénant.
Par
exemple, nous étions en début de cette semaine en soucis pour la garderie
pendant le culte, nous demandant comment trouver quelqu’un pour la faire ce
dimanche... Nous étions en train d’en parler au secrétariat quand je reçois un
message sur mon téléphone d’une lycéenne qui me réponds qu’elle viendra avec
joie au repas des lycéens de samedi prochain, et elle ajoute une phrase
demandant si elle peut aider pour la garderie des enfants. Pile au moment où
nous étions en soucis. Peut-être que c’est de la surinterprétation que d’y lire
une intervention de Dieu, mais peut-être pas. Si cette interprétation comme un
geste de Dieu était prise trop au sérieux elle pourrait être aliénante sous le
poids d’une théologie où Dieu serait tout puissant et maître de l’histoire
jusque dans ses moindres détails. Mais si c’est fait avec humilité, avec
humour, pourquoi pas, comme une façon de regarder notre vie avec une
perspective spirituelle, et que tout ce qui nous arrive contient un potentiel
de sens.
Et se
préparer à ce qui vient de Dieu, réellement. Car si Dieu n’envoie pas de
messages sur notre téléphone, il est une source qui nous révèle une parole, il
est une personne qui nous visite. Et là, on rigole autrement « Heureux es-tu Simon, fils de Jonas, car
c’est mon père qui est dans les cieux qui t’a révélé cela, pas la chair et le
sang. »
Simon
aurait-il su décrypter le signe qu’est Jésus s’il n’avait médité avant
l’histoire de Jean-Baptiste, de Jérémie, d’Élie et leur interprétation par ses
collègues ? Peut-être pas. Mais là, il a été touché par Dieu.
Dieu
ne parle pas avec des sons, Jean a raison, c’est plus une vision comme avec les
yeux ou une perception comme avec les mains. Pierre interprète le signe, le
transcrit dans les concepts et les mots de sa culture. C’est bien, c’est ce
qu’il faut faire et c’est ce que Jésus lui demande.
C’est
un autre des services que rend l’église de nous aider à travailler sur nos
intuitions spirituelles. Souvent une prédication et un texte nous rejoignent
étrangement et nous font comprendre la révélation reçue. Elle n’est pas tant
dans la parole extérieure qu’est la prédication entendue. Cette parole ne
serait qu’un exercice intellectuel sans cette parole intérieure que reçoit
chacun, la « parole de la vie » dont parle Jean et qui vient du Père de
Jésus-Christ, et qu’il convient d’interpréter.
Dans
le travail spirituel, on peut recevoir plusieurs choses :
On
prendre conscience de ce qui serait juste de faire pour nous à ce moment
précis, c’est un peu comme le don de la Loi à Moïse sur le mont Sinaï, comme
Pierre reçoit ici une mission
On
peut entendre Dieu nous dire « tu es heureux » d’être toi, comme Jésus reçoit
la révélation qu’il est enfant bien-aimé de Dieu, comme Marie reçoit la grâce,
et Abraham la bénédiction. C’est recevoir l’Évangile.
On
peut aussi progresser dans la connaissance de soi-même comme Simon reçoit de
Jésus un nouveau nom qui fait de lui plus que le produit de son histoire
humaine.
Mais
enfin, dans l’expérience spirituelle, même en dehors de toute parole de vie
reçue, ou ressentie, il y a la relation pure, qui a son importance essentielle
même en dehors de tout contenu. C’est ici, dans cette histoire de Pierre, ces
petiots mots qui reviennent ces tu et ces toi, ces je et ces moi de la
rencontre personnelle entre Dieu et nous.
C’est
le but de l ‘église de libérer chacun pour cela. Bien entendu, ce travail de
l’église n’est qu’un travail sur terre, nous ne sommes pas Dieu. Mais comme le
dit Jésus, il y a moyen ici soit de bloquer les gens soit de les libérer pour
qu’ils se sentent autorisés, dignes, appelés même à voir leurs buissons
ardents, entendre et même toucher eux-mêmes la Parole de vie. Nous avons ce
pouvoir en tant qu’homme et femme de libérer ou de bloquer les autres. Et bien
entendu, Jésus n’imagine pas une seconde que nous pourrions comprendre avoir le
droit de bloquer les autres dans ce chemin. Dans la première des 10 paroles
données à Moïse, Dieu se révèle comme libérateur. Et il espère nous créer à son
image.
Le
danger du croyant élevé au 7e ciel par Dieu, est de se prendre
un peu pour Dieu sur les bords. Et de faire de notre interprétation de la
Parole un savoir sur Dieu, d’en faire une Vérité éternelle prétendant connaître
Dieu mieux que lui-même. C’est ce qui arrive à Pierre ici. Et cette suite du
récit est utile, bien sûr. Et là aussi, l’église peut nous aider, si elle même
ne se prend pas pour le Royaume de Dieu, mais simplement une rencontre entre
croyants dans une belle diversité. Cela enrichi notre panel d’interprétations,
et en même temps cela peut nous aider à ne pas confondre nos paroles humaines
avec la parole vivante de Dieu. Et cela libère.