vendredi 30 septembre 2016

Sur cette pierre, je bâtirai mon église









Sur cette pierre, je bâtirai mon église
« Sur cette pierre, je bâtirai mon église » dit Jésus
(Matthieu 16:13-23 ; 1 Jean 1:1-5)
Et quelle est cette pierre de fondation ? Au début du récit, on pourrait penser que c’est la personne de Simon Pierre, mais le récit de l’Évangile se poursuit et Simon qui vient d’être si génial se révèle être quelque minutes plus tard exactement dans la pire attitude possible, qualifiée par Jésus de satanique, de destructrice au lieu de constructrice. Et pourtant, si Jésus donne à Simon le nom de Pierre qui se rapproche du mot « pierre » qui est utilisé pour la fondation de son église, c’est bien qu’il y a quelque chose dans ce qu’il fait ou qui lui arrive ici qui est fondamental dans le projet du Christ, dans son espérance pour l’humanité.
Alors quoi ? Il serait possible de penser que la pierre de fondation de l’église est la confession de foi de Pierre, cette connaissance sur Jésus comme Christ et fils de Dieu. Mais si l’essentiel était pour Jésus un certain savoir, il lui aurait suffi de le révéler clairement au lieu d’interdire ici aux disciples de répéter partout ce que Pierre a dit.
Pourtant, Jésus invite bien ici à un travail sur la connaissance et la réflexion. Cela part même de là, d’un sujet de réflexion que leur propose Jésus, un travail d’enquête : « Au dire des hommes, qui suis-je, moi, le Fils de l'homme ? » (Verset. 13)
Ensuite, le cœur de ce récit, relevé par Jésus avec éclat, c’est l’expérience de foi de Simon Pierre, qui a une révélation directe de Dieu. Qu’est-ce que l’Église aurait à voir avec cela ? Elle ne peut pas faire automatiquement partager à des gens une expérience de foi. Mais elle peut « préparer les chemins du Seigneur », aider à la rendre possible.
Dans cet itinéraire de Simon vers son instant de révélation divine, tout commence par cette enquête que Jésus propose à ses disciples : « Au dire des hommes, qui suis-je, moi, le Fils de l'homme ? » Cela conduit à rechercher un certain panel de réponses posées par des individus ou des groupes. La Bible est faite de cela, c’est un recueil d’interprétations sur l’intervention de Dieu dans notre histoire.
« Et vous, ajoute ensuite Jésus, qui dites-vous que je suis ? » Après le recensement des interprétations diverses possibles, il nous appelle à aller plus loin en interprétant ces interprétations, et en prenant position.
Ce travail là, sur les interprétations est un premier service que peut rendre l’église du Christ. Une première pierre de fondation, finalement. Même si ce n’est pas encore ce cœur de la foi qu’est la révélation directe par le Père qui est dans les cieux, c’est seulement un travail sur ce que nous révèlent des personnes de chair et de sang. Mais c’est déjà la foi que de faire cette enquête qui est la première pierre de la fondation. Car déjà dans cette recherche se creuse une recherche de Dieu, une curiosité, une gourmandise même, une espérance.
C’est déjà un bon point. Mais cette recherche apporte plus qu’une ouverture. Elle travaille sur cette magnifique collection d’interprétations de l’action de Dieu qu’est la Bible. C’est ce que Jésus appelle à faire ici, et l’église c’est cela, aussi.
Pourquoi la Bible ? Ces histoires anciennes se passent à des époques différentes, dans des circonstances particulières et nous ne sommes pas Jean-Baptiste, Jérémie ou Abraham... l’action de Dieu est toujours contextuelle, une réponse totalement individualisée et novatrice. Et comme le dit Jésus, Dieu n’est pas un simple héros dont on raconterait la geste, mais il est « le père qui est dans les cieux », autrement dit une source qui est d’une tout autre dimension que la nôtre, ce qu’il révèle ou accomplit n’est pas facile à raconter avec notre langage qui est fait pour rendre compte de ce qui est sur terre, dans notre univers. Par conséquent tout témoignage sur ce que Dieu aurait dit ou fait est toujours de l’ordre de l’interprétation, et non une transcription ou une vidéo. La Bible est une compilation précieuse d’interprétations particulièrement marquantes.
C’est ce que nous voyons dans la Genèse qui commence par deux, voire trois récits différents de la création par Dieu.
C’est comme cela que Jean présente son travail, dans sa première lettre, comme une interprétation de son expérience, ou de leurs expériences à lui et à quelques-uns de son groupe de travail : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, concernant la parole de la vie... »
Jean rend bien compte de la difficulté et donc du statut de son texte quand il explique témoigner de « ce qu’ils ont contemplé de leurs yeux et touché de leurs mains de la Parole de vie ». Comment peut-on toucher une parole, et comment parler de ce que ressent une main par le toucher ? L’auteur doit interpréter l’indicible, quelque chose qui est de l’ordre du ciel avec des mots de la terre.
L’Église est riche d’une formidable bibliothèque d’interprétations de l’action de Dieu dans la vie des humains. Par la Bible, d’abord, et par deux ou trois mille ans d’interprétation de ces interprétations. Fondamentalement, le culte consiste d’abord à fouiller dans cette bibliothèque, peut-être à retrouver un de ces petits feuillets touchants qui sont insérés dans les Bibles de familles, une prière recopiée, une vieille feuille de sermon, une lettre d’anniversaire écrite par un frère à sa sœur lui souhaitant la bénédiction de Dieu...
A quoi cela peut-il nous servir de ruminer ces interprétations de l’action de Dieu dans des vies humaines particulières ? A ouvrir notre champ du possible. En effet, il est très difficile de saisir ce que l’on ne connaît pas, ce que l’on n’imagine même pas.
Comme Samuel qui ne comprend pas ce qui lui arrive quand Dieu lui parle, jusqu’à ce que le prophète Élie l’aide à le saisir, ce n’est pas facile. La personne athée ayant été élevée dans un milieu entièrement matérialiste n’en a que plus de mérite à saisir, puis à accepter ce qui lui arrive de Dieu. Si cette rencontre est particulièrement vive, au début, la personne se demande ce qui lui arrive et peut se croire folle, et puis non, cela passe et cette expérience devient pour cette personne une pierre de fondation. Si cette rencontre avec Dieu est plus diffuse, l’athée se dit que non, tout ça n’existe pas et donc que ce quelque chose qui le titille n’est pas important, sauf quand cela vient et revient, quand cela dure sur des dizaines d’années.
Creuser la Bible, interpréter ce trésor d’interprétations nous rend plus disponible pour voir ce qui pourrait nous arriver de Dieu, ne pas laisser encore passer notre chance, à la saisir, et à bien l’assimiler. C’est ainsi que Moïse, Zacharie ou Marie parlent ensuite de leur rencontre avec Dieu, ils le font avec des tissus de citations bibliques. Auraient-ils pu s’ouvrir à la visite de Dieu sans cette préparation de leur être à cet inattendu ? Peut-être oui, mais plus difficilement. Ces textes leurs donnent aussi un vocabulaire et une syntaxe pour interpréter eux-mêmes ce qui leur est arrivé de particulier.
Derrière chaque récit biblique il y a une expérience spirituelle d’un croyant qui est derrière les mots, les récits. Abraham n’a peut-être pas existé en tant que personnage historique, mais en tout cas derrière ce récit il y a un auteur qui dit son expérience de Dieu avec ce texte. Son expérience est subjective, particulière, comme l’est celle de Pierre en suivant Jésus. Toutes ces interprétations de ce qui leur arrive ouvrent nos schémas du possible avec Dieu.
Cette histoire de Pierre est son histoire, et il n’y a donc pas à culpabiliser si nous ne vivons pas la même. Pas plus que l’histoire de David qui est désigné par Dieu au prophète Samuel pour qu’il fasse de lui le prochain roi de préférences à tous ses frères apparemment bien plus excellents. Pourquoi ? Parce que c’était lui, à ce moment-là. Ce n’est pas notre histoire, et en même temps c’est possible que nous vivions quelque chose comme cela, à notre façon, d’être désigné et fortifié par Dieu pour une responsabilité particulière.
Après avoir intégré ces histoires, comme Jésus invite Pierre à le faire, elles sont là, dans un coin de notre mémoire, prêtes pour revenir et nous aider à interpréter ce qui nous arrive. Peut-être que ce que nous avons vu et touché de la main est une parole de Dieu, comme le dit Jean de façon imagée. Mais peut-être pas. Car tout ne vient pas de Dieu, parfois c’est juste notre tête ou nos sentiments qui se font un film. C’est à cela que sert aussi de ne pas rester seul dans ce travail d’interprétation de notre existence. Car, comme avec Pierre dans la 2e partie de ce récit, il peut arriver que nous ayons besoin des autres pour nous dire quand nous délirons.
Comme le dit Jean, il existe des paroles de Dieu qui se voient et se touchent, des signes de l’action de Dieu dans ce monde. Christ en est un formidable, mais il y a aussi de petits signes pour qui sait les voir. Ce sont nos petits buissons ardents.
Y a-t-il un risque de sur interpréter notre quotidien en étant dopé par ces récits bibliques et ces prédications qui ne cessent de les ruminer ? Comment gérer ce possible jamais certain ? Comment s’ouvrir à la révélation de Dieu sans s’éparpiller dans le n’importe quoi ?
Cela doit être fait avec humilité, parfois même avec humour, pour que cela reste intéressant sans devenir aliénant.
Par exemple, nous étions en début de cette semaine en soucis pour la garderie pendant le culte, nous demandant comment trouver quelqu’un pour la faire ce dimanche... Nous étions en train d’en parler au secrétariat quand je reçois un message sur mon téléphone d’une lycéenne qui me réponds qu’elle viendra avec joie au repas des lycéens de samedi prochain, et elle ajoute une phrase demandant si elle peut aider pour la garderie des enfants. Pile au moment où nous étions en soucis. Peut-être que c’est de la surinterprétation que d’y lire une intervention de Dieu, mais peut-être pas. Si cette interprétation comme un geste de Dieu était prise trop au sérieux elle pourrait être aliénante sous le poids d’une théologie où Dieu serait tout puissant et maître de l’histoire jusque dans ses moindres détails. Mais si c’est fait avec humilité, avec humour, pourquoi pas, comme une façon de regarder notre vie avec une perspective spirituelle, et que tout ce qui nous arrive contient un potentiel de sens.
Et se préparer à ce qui vient de Dieu, réellement. Car si Dieu n’envoie pas de messages sur notre téléphone, il est une source qui nous révèle une parole, il est une personne qui nous visite. Et là, on rigole autrement « Heureux es-tu Simon, fils de Jonas, car c’est mon père qui est dans les cieux qui t’a révélé cela, pas la chair et le sang. »
Simon aurait-il su décrypter le signe qu’est Jésus s’il n’avait médité avant l’histoire de Jean-Baptiste, de Jérémie, d’Élie et leur interprétation par ses collègues ? Peut-être pas. Mais là, il a été touché par Dieu.
Dieu ne parle pas avec des sons, Jean a raison, c’est plus une vision comme avec les yeux ou une perception comme avec les mains. Pierre interprète le signe, le transcrit dans les concepts et les mots de sa culture. C’est bien, c’est ce qu’il faut faire et c’est ce que Jésus lui demande.
C’est un autre des services que rend l’église de nous aider à travailler sur nos intuitions spirituelles. Souvent une prédication et un texte nous rejoignent étrangement et nous font comprendre la révélation reçue. Elle n’est pas tant dans la parole extérieure qu’est la prédication entendue. Cette parole ne serait qu’un exercice intellectuel sans cette parole intérieure que reçoit chacun, la « parole de la vie » dont parle Jean et qui vient du Père de Jésus-Christ, et qu’il convient d’interpréter.
Dans le travail spirituel, on peut recevoir plusieurs choses :
On prendre conscience de ce qui serait juste de faire pour nous à ce moment précis, c’est un peu comme le don de la Loi à Moïse sur le mont Sinaï, comme Pierre reçoit ici une mission
On peut entendre Dieu nous dire « tu es heureux » d’être toi, comme Jésus reçoit la révélation qu’il est enfant bien-aimé de Dieu, comme Marie reçoit la grâce, et Abraham la bénédiction. C’est recevoir l’Évangile.
On peut aussi progresser dans la connaissance de soi-même comme Simon reçoit de Jésus un nouveau nom qui fait de lui plus que le produit de son histoire humaine.
Mais enfin, dans l’expérience spirituelle, même en dehors de toute parole de vie reçue, ou ressentie, il y a la relation pure, qui a son importance essentielle même en dehors de tout contenu. C’est ici, dans cette histoire de Pierre, ces petiots mots qui reviennent ces tu et ces toi, ces je et ces moi de la rencontre personnelle entre Dieu et nous.
C’est le but de l ‘église de libérer chacun pour cela. Bien entendu, ce travail de l’église n’est qu’un travail sur terre, nous ne sommes pas Dieu. Mais comme le dit Jésus, il y a moyen ici soit de bloquer les gens soit de les libérer pour qu’ils se sentent autorisés, dignes, appelés même à voir leurs buissons ardents, entendre et même toucher eux-mêmes la Parole de vie. Nous avons ce pouvoir en tant qu’homme et femme de libérer ou de bloquer les autres. Et bien entendu, Jésus n’imagine pas une seconde que nous pourrions comprendre avoir le droit de bloquer les autres dans ce chemin. Dans la première des 10 paroles données à Moïse, Dieu se révèle comme libérateur. Et il espère nous créer à son image.
Le danger du croyant élevé au 7e ciel par Dieu, est de se prendre un peu pour Dieu sur les bords. Et de faire de notre interprétation de la Parole un savoir sur Dieu, d’en faire une Vérité éternelle prétendant connaître Dieu mieux que lui-même. C’est ce qui arrive à Pierre ici. Et cette suite du récit est utile, bien sûr. Et là aussi, l’église peut nous aider, si elle même ne se prend pas pour le Royaume de Dieu, mais simplement une rencontre entre croyants dans une belle diversité. Cela enrichi notre panel d’interprétations, et en même temps cela peut nous aider à ne pas confondre nos paroles humaines avec la parole vivante de Dieu. Et cela libère.







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