samedi 10 septembre 2016

L’affaire Stéphane Dieterich


L’affaire Stéphane Dieterich
Le meurtre de S. Dieterich ou l’archétype de l’enquête criminelle
L’auteur putatif d’un homicide vieux de 22 ans s’est spontanément dénoncé. En 1994, un étudiant, Stéphane Dieterich, est retrouvé dans un sous-bois près de Belfort, mort de nombreux coups de couteaux. Il devait partir en vacances le lendemain avec un ami. Cet ami était venu le chercher la veille, à l’improviste, en voiture. Déclarant s’absenter quelques instants, Dieterich n’est jamais rentré. Son camarade, sans doute le dernier à l’avoir vu vivant, est immédiatement soupçonné. Ses déclarations sont invraisemblables – il affirme avoir déposé, sous un déluge, la victime à une fête foraine où elle avait rendez-vous alors que celle-ci exécrait la pluie, ne se déplaçait qu’en voiture, n’avait jamais mentionné ce rendez-vous ni reçu aucun appel (à une époque où le téléphone cellulaire n’existait quasiment pas). Un faisceau d’indices le désigne : il a erré jusqu’au matin, hagard, la nuit des faits ; il est trouvé en possession de la carte bancaire du défunt ; il a lavé à grands jets son auto ; il perdu une dizaine de kilos dans les semaines suivantes. Placé en garde à vue, il nie les faits. A défaut d’aveu et de preuve matérielle (l’exploitation de l’ADN est embryonnaire en 1994), il est relâché et n’est plus inquiété jusqu’à ce que, dévoré par le remords, il dénonce son crime en 2015.
L’affaire Dieterich, en voie de solution, est typique des enquêtes criminelles à trois égards. Nous avons d’abord coutume de dire que les grandes affaires judiciaires se résolvent souvent sur un détail ou de façon extraordinaire, au sens littéral : titulaire d’une empreinte génétique identifié pour une vétille des années après, témoignage inespéré d’un pénitent extraneus ayant recueilli par hasard des aveux, remords tardif du coupable et autres deus ex machina.
Ce cas démontre ensuite qu’une enquête criminelle, ce sont des preuves matérielles ou la reconnaissance des faits : quand bien même tout convergeait vers le principal suspect, il n’eût guère été possible de le confondre judiciairement sans ses aveux. C’est pourquoi les enquêteurs y sont tellement attachés, à défaut de preuves matérielles incontestables. Corollairement, dans les affaires non résolues, le coupable a généralement été soupçonné, mais aucun élément objectif ne le relie suffisamment au crime. C’est pour cette raison, et pour la raison précédemment évoquée, que des suspects demeurent mis en examen pendant des années, le juge d’instruction espérant une aide du destin pour résoudre son dossier.
Enfin, l’affaire Dieterich illustre l’indifférence ou le caractère secondaire du mobile. L’enquête criminelle repose avant tout sur l’intuition, la première étant généralement la bonne, sous réserve de vérifications ultérieures. Le fameux adage « regarde à qui profite le crime » permet alors d’orienter les recherches, auteur et victime se connaissant presque toujours. Mais peu importe ensuite le sérieux du mobile : les criminels ne réagissent pas toujours comme tout le monde, et les exemples de meurtres atroces pour des mobiles futiles sont légions. C’est ce que nous appelons la pureté du crime. En l’espèce, le mobile était sans doute passionnel ou narcissique, sur fonds d’amitié homosexuelle plus ou moins refoulée. En tout cas, aucun mobile sérieux ne désignait l’auteur, car nul, en dehors d’un criminel, ne serait passé à l’acte aussi sauvagement pour une simple anicroche. Le meurtrier n’a pas le même surmoi, et comme l’écrivait Drieu, « le scrupule défigure le criminel ».






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