L’affaire
Stéphane Dieterich
Le meurtre de S. Dieterich ou
l’archétype de l’enquête criminelle
L’auteur putatif d’un
homicide vieux de 22 ans s’est spontanément dénoncé. En 1994, un étudiant,
Stéphane Dieterich, est retrouvé dans un sous-bois près de Belfort, mort de
nombreux coups de couteaux. Il devait partir en vacances le lendemain avec un
ami. Cet ami était venu le
chercher la veille, à l’improviste, en voiture. Déclarant s’absenter quelques
instants, Dieterich n’est jamais rentré. Son camarade, sans doute le dernier à
l’avoir vu vivant, est immédiatement soupçonné. Ses déclarations sont invraisemblables
– il affirme avoir déposé, sous un déluge, la victime à une fête foraine où
elle avait rendez-vous alors que celle-ci exécrait la pluie, ne se déplaçait
qu’en voiture, n’avait jamais mentionné ce rendez-vous ni reçu
aucun appel (à une époque où le téléphone cellulaire n’existait quasiment pas). Un faisceau d’indices le
désigne : il a erré jusqu’au matin, hagard, la nuit des faits ; il est trouvé
en possession de la carte bancaire du défunt ; il a lavé à grands jets son auto ; il perdu une dizaine de kilos dans les semaines suivantes. Placé en garde à vue, il nie
les faits. A défaut d’aveu et de preuve matérielle
(l’exploitation de l’ADN est embryonnaire en 1994), il est relâché et n’est plus inquiété jusqu’à ce que,
dévoré par le remords, il dénonce son crime en 2015.
L’affaire Dieterich, en voie
de solution, est typique des enquêtes criminelles à trois égards. Nous avons d’abord coutume de dire que les grandes
affaires judiciaires se résolvent souvent sur un détail ou de façon extraordinaire, au sens
littéral : titulaire d’une empreinte
génétique identifié pour une vétille des années après, témoignage inespéré d’un pénitent
extraneus ayant recueilli
par hasard des aveux, remords tardif du
coupable et autres deus
ex machina.
Ce cas démontre ensuite
qu’une enquête criminelle, ce sont des preuves matérielles ou la reconnaissance des faits :
quand bien même tout convergeait vers le principal suspect, il n’eût guère été
possible de le confondre judiciairement sans ses aveux. C’est pourquoi les
enquêteurs y sont tellement attachés, à défaut de preuves matérielles incontestables.
Corollairement, dans les affaires non résolues, le coupable a généralement été
soupçonné, mais aucun élément objectif ne le relie suffisamment au crime. C’est
pour cette raison, et pour la raison précédemment évoquée, que des suspects
demeurent mis en examen pendant des années, le juge d’instruction espérant une
aide du destin pour résoudre son dossier.
Enfin, l’affaire Dieterich
illustre l’indifférence ou le caractère secondaire du mobile. L’enquête
criminelle repose avant tout sur l’intuition, la première étant généralement la
bonne, sous réserve de vérifications ultérieures. Le fameux adage « regarde
à qui profite le crime » permet
alors d’orienter les recherches, auteur et victime se connaissant presque
toujours. Mais peu importe
ensuite le sérieux du mobile : les criminels ne réagissent pas toujours
comme tout le monde, et les exemples de meurtres atroces pour des mobiles futiles sont légions. C’est ce que nous
appelons la pureté du crime. En l’espèce, le mobile était sans
doute passionnel ou narcissique,
sur fonds d’amitié homosexuelle plus ou moins refoulée. En tout cas, aucun
mobile sérieux ne désignait l’auteur, car nul, en dehors d’un criminel, ne
serait passé à l’acte aussi sauvagement pour
une simple anicroche. Le meurtrier n’a pas le même surmoi,
et comme l’écrivait Drieu, « le
scrupule défigure le criminel ».
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