mardi 12 novembre 2013


Bourg-en-Bresse : le juillet noir de 1944
Peu de burgiens connaissent la tuerie de 1944. Ce "juillet noir" où l'on dénombre une trentaine d'exécutions sommaires commises entre le 10 et le 25 juillet à Bourg, qui comptait alors 25 000 habitants.
Parmi les victimes 17 burgiens, dont 11 juifs résidant en ville, un autre juif d'Oyonnax, 8 résistants qui avaient été amenés du Jura voisin, un FFI originaire de Priay, un FTP de Vénissieux.
Ils furent des victimes expiatoires et peut-être même une monnaie d'échange.
Klaus Barbie, (mieux connu sous le nom de la bête), l'organisateur de la tuerie, ne s'est jamais entendu reprocher contradictoirement les faits que j'évoque.
C'est par contumace qu'il avait été condamné une première fois en 1954 par un tribunal militaire à Lyon. À son spectaculaire procès d'assise, trente ans plus tard et toujours à Lyon, il n'a pas été question du massacre de Bourg-en-Bresse, en vertu du principe de l'autorité de la chose jugée.
Ainsi l'imprescribilité du crime contre l'humanité fut bel et bien éludée.

D'abord la Milice

1944 : les miliciens sont solidement installés à Bourg depuis le début de juin. Au moment même où le débarquement des Alliés en Normandie est annoncé.
Dans l'Ain, ils sont une "cohorte" – 300 hommes environ. Au chef-lieu départemental, ils se sont logés à l'Hôtel de la Pyramide, emplacement de l'actuelle agence du "Progrès", à l'Hôtel de France qui est un centre d'interrogatoire, à l'Hôtel de l'Europe, qui fut un temps salle des ventes. Ils en ont fait un centre de détention, les chefs y ont aménagé leurs bureaux.
D'Agostini est à la tête de cette cohorte. On connaît les crimes de ce forcené qui lui ont valu, après jugement, d'être fusillé après la Libération.
Depuis juin, d'Agostini sévit à Bourg, Nantua et ailleurs. Il est flanqué de sa maîtresse, un grand nom du gotha : Madeleine Champetier de Ribes, une pute de 1ère classe, laquelle se pavanait en uniforme milicien : culotte de cheval, béret timbré du gamma. Cette égérie à particule ne se sépare jamais de sa cravache ni de ses armes. Elle se fait appeler "colonelle Maud" et participe aux interrogatoires des "terros" et des "partoches", comme elle dit.
La cohorte milicinne de l'Ain a son deuxième service (renseignements) en rapport quotidien avec le deuxième service régional commandé à Lyon par Touvier, le mercenaire.
(Au fait, a-t-on jamais demandé à ce dernier s'il savait quelque chose su les événements de Bourg ?)
À Bourg, il y a aussi ce Francisque Girard, le bien prénommé, qui selon Patrick Séry ("Événement du Jeudi" en date du 30 mars 1988) a établi la liste de tous les juifs de la ville, l'a adressée à Maurras pour publication dans l'Action française. Ces listes vont servir, celles de la préfecture aussi.

Les potaches à la question

Le 5 juin 1944, en début d'après-midi, les franc-garde de la Milice armés jusqu'aux dents investissent le lycée Lalande. Molestés et même sévèrement battus, une quarantaine de potaches, le proviseur et le surveillant-général sont conduits à Saint-Amour, à trente kilomètres, pour être interrogés plus avant.
Dix arrestations sont maintenues : le surveillant-général et neuf élèves. Ils seront enfermés dans les caves de l'Hôtel de l'Europe avant d'être remis aux allemands et déportés en Allemagne.

Les caves de l'Hôtel de l'Europe

Par les miliciens, les caves de l'Hôtel de l'Europe son devenues l'enfer. On y pratique tous les jours la torture : flagellation avec les boucles de ceinturons, on brûle des journaux entre les jambes écartées des gens qu'on interroge. Les témoins attestent.
M. Charvet, alors chirurgien-dentiste, a connu cette détention. Il décrit ainsi ces culs-de-basse-fosse : "dix mètres d'un escalier de pierre où l'on accède aux caves par un long couloir, faiblement éclairé d'une lampe de 15 watts. La première cave est bourrée de fagots qui laissent un espace de 60 cm jusqu'à la voûte. On ne peut se tenir debout. Dans la seconde, trois tonnes de pommes de terre en fermentation servent de paillasse aux détenus."
Tous les soupiraux ont été bouchés, la puanteur s'est ancrée. Ils sont là 80 à 100 qui suffoquent.
Tout est permis aux miliciens, ils sont pour l'État pétainiste, la loi et l'ordre public. Leur grand chef, Joseph Darnand, natif de Coligny (Ain), a autrefois travaillé dans un commerce de meubles de la ville. Il y a encore de la proche famille. Outre son poste de chef national de la Milice, il est devenu secrétaire d'État au maintien de l'ordre. Ce sont les allemands qui l'ont imposé dans cette fonction. Il sera même promu Sturmbannführer de la SS, après avoir prêté serment à Hitler.
À Bourg, à l'Hötel de l'Europe, expéditifs, les tueurs miliciens abattront dans la rue, devant l'hôtel, Robert Venet, 29 ans, un maquisard capturé auquel d'Agostini, machiavélique, venait de dire : "Après tout, tu es comme nous aussi un patriote, tu as choisi une autre voie, tu es libre, fous le camp !"
Et Venet est tué sous prétexte d'une tentative d'évasion.

Du gamma milicien à la tête de mort des Totenkorps

Après la Libération, Mme Denizot qui dirigeait avec son fils Pierre l'Hôtel de l'Europe m'a rapporté les affres endurées par les détenus. Quelquefois elle réussissait à leur faire passer de l'eau. Ils étaient nourris d'un infect brouet de patates pourries prélevées dans leur litière. Ce brouet était archi-salé pour provoquer une torture supplémentaire : la soif.
Ce monde milicien était un monde de folie. Si les sous-sols étaient un enfer, la dépravation était de règle dans les salons et les chambres. Une orgie comparable en tous points à celle qui régnait à Salo , la dernière Capoue des derniers fascistes mussoliniens.
La colonelle Maud en était la reine.
Mais tout cela n'était qu'un prélude. De la loi du gamma, on allait passer à la loi SS. Celle qui avait fait régner l'ordre à Varsovie. On sait quel ordre et on sait de quelle manière. Mais pour autant, la Milice ne cédait pas le pas aux allemands. Elle allait les aider.

Romano

 

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