Un rayon de soleil
Cela se passait en 1943.
J'étais externe surveillé au lycée Lalande. Je rentrais à la maison chaque soir
après 19 heures. Je vivais chez mes tantes, deux sœurs célibataires, libraires
et papetières rue du maréchal Foch. Le magasin était étroit, tout en longueur
et très mal ventilé. La ville de Bourg était
occupée par l'armée allemande et le soir après l'exercice les soldats venaient
acheter du papier à lettre. Ils répandaient une mauvaise odeur de chou rance :
manque d'hygiène, d'alimentation, je n'ai jamais approfondi cette question.
Donc je savais, je sentais lorsque ce genre de clients avait fréquenté le
magasin. Un soir lorsque je rentrai, il y avait non seulement l'odeur mais une
présence. Non ce n'était pas un de ces grands blonds aux yeux bleus montrés par
la propagande nazie. C'était un petit brun malingre et timide, ressemblant à Hitler
lui-même, lui aussi avait des moustaches. Son visage s'est illuminé lorsque je
me suis adressé à lui en allemand. Il ma dit qu'il était fermier en Prusse
orientale à l'autre bout de l'Europe. Il désirait en savoir plus sur la région
et comment nous vivions. Je lui ai décrit les restrictions auxquelles nous
étions soumis du fait des réquisitions du gouvernement allemand et du manque de
viande, de beurre et autres denrées alimentaires de première nécessité. Il m'a
écouté et m'a dit que tout n'était pas rose non plus dans sa région et il est
parti. Trois semaines après il est revenu au magasin en me disant qu'il
rentrait de permission. Il m'apportait une plaque de beurre de sa ferme me
disant : "tu es jeune et gringalet, tu as besoin de matière grasse."
Et je ne l'ai jamais revu. Au milieu de la tourmente c'était l'Europe qui
commençait. Il avait suffi de communiquer, de partager les mêmes problèmes pour
faire tomber les uniformes, les préjugés, les rodomontades des politiciens de
tout poil pour se trouver citoyens de l'Euroland (Ne pas confondre
avec le président François Hollande) d'aujourd'hui. C'était au temps de la boucherie
de Stalingrad, bien avant l'apparition de ces visionnaires de génie qu'étaient
Jean Monet et Robert Schuman, les pères de l'Europe, mais pour moi cela a été
une lueur d'espoir. Il y a eu ceux qui sont morts et qu'il ne faudra jamais
oublier et il y a eu ceux qui ont survécu et qui ont tout fait pour que l'horrible
passé engendre la lumière et parmi eux beaucoup étaient des humbles comme mon
petit prussien et le gamin de 15 ans que j'étais alors.
Romano
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