Des
femmes dans la Résistance.
Service Périclès 1942-1944
Service Périclès 1942-1944
En ville (Lyon-Paris), les femmes
du réseau "Périclès" ont été nombreuses, et elles ont presque toutes
été arrêtées et déportées. Si je rédige aujourd'hui ce récit, à l'intention de
Patricia BOYER, c'est que les rangs des combattants de la Résistance
s'éclaircissent un peu plus tous les ans. Bientôt personne ne sera plus là pour
témoigner. C'est pourquoi j'écris ces pages de mémoire pour que les jeunes
n'oublient pas ce qui a été fait, vécu par ces femmes indomptables.
Élève au Lycée de Bourg, j'avais 16 ans au moment de l'Armistice (16 Juin1940). J'ai écouté, tremblante d'émotion et de colère, le vieux Maréchal chevroter "qu'il fallait cesser le combat".
De toutes mes forces, à l'instant même où j'ai entendu ces mots, j'ai dit non. Je continuerai le combat : "La France avait perdu une bataille, elle n'avait pas perdu la guerre". Je n'ai pas entendu l'appel du Général De Gaulle, mais j'ai appris assez vite qu'à Londres, un général français appelait à la Résistance. J'ai été instantanément gaulliste.
Naturellement rebelle, "passionnaria" de 16 ans, j'étais seule contre tous, dans un pays traumatisé par la débâcle, la défaite, mais aussi soulagé de voir finir la guerre, de ce lâche soulagement dont avait parlé Léon Blum au moment de Munich. Ma famille était pétainiste, mon village, ma ville, le curé, que tous respectaient, les notables : en cet été 1940, il y avait en France 40 millions de pétainistes.
Pour quelle raison ce refus de l'Armistice jaillit du plus profond de moi ?
D'abord par un patriotisme simple et vif. J'aimais la France "mère des arts, des armes et des lois".
J'aimais "cette terre charnelle". Le beau poème de Péguy, je me le redisais avec passion : "heureux les épis mûrs et les blés moissonnés" : La présence des soldats allemands sur notre sol me révoltait comme une souillure. Cette "armée de soldats verts", il fallait "la bouter hors de France".
D'autre part, malgré mon jeune âge, j'étais motivée plus politiquement : je savais que le régime, en Allemagne, était dictatorial et antisémite, j'avais entendu à la radio Hitler injurier les "ploutocraties", j'avais entendu hurler des foules fanatisées. Tout cela me paraissait très grave et menaçant pour mon pays et notre liberté.
Ma résistance a d'abord été enfantine : je traçais des croix de lorraine sur les murs, le V de la victoire, je portais fièrement la croix de Lorraine au revers de mon manteau ...
Deux ans ont passé, j'ai grandi. En 1942, j'étais en Khâgne à Lyon, étudiante en philosophie, et avec un groupe très restreint d'amis étudiants nous avons commencé à organiser un "comité de Résistance Inter-Faculté" : Il comprenait quelques étudiants en lettres : Georges Lesèvre, (Séverane), Georges Epstein ("Fanfan"), en médecine : le docteur Jeune ("Martin"), Georges Graber ("Garnier"), moi-même, "Maryse", plus tard en 1943, Hélène Roederer, qui nous donnait à distribuer dans les boîtes aux lettres le journal clandestin "Défense de la France".
À partir de 1943, nous avons été en contact avec le service Périclès, orienté contre le départ en Allemagne des jeunes gens touchés par le S.T.O., et vers la création de maquis, en particulier dans le Haut Jura, au-dessus de Saint-Claude (Viry, La Pesse, ...).
Le Lieutenant-colonel Robert Lagarde, au charisme indéniable, officier de réserve, ancien officier de renseignement au IIème Bureau, a fondé le service "Périclès" ou "École des Cadres du Maquis" qui recrutait des étudiants. Son idée était qu'il fallait encadrer les jeunes gens qui prenaient le maquis dans la montagne, ne pas les laisser livrés à eux-mêmes, comme des enfants perdus, en proie à la tentation du découragement. Dès 1943, le Service Périclès reçoit le soutien matériel financier et moral des M.U.R (fondés par Jean Moulin) et travaille en liaison étroite avec Henry Frenay ("Combat").
Il y aurait à faire tout un travail historique sur ce réseau "Périclès" qui a été si singulier, si profondément original. Je me propose ici de parler seulement des femmes de ce réseau dont je faisais partie. Leur rôle a été plus important qu'on ne le sait d'habitude, et Robert Lagarde les à recrutées systématiquement et massivement.
Pourquoi ? D'abord pour une raison évidente : deux millions de français étaient prisonniers en Allemagne, presque tous les hommes dans la force de l'âge. D'autres avaient gagné l'Angleterre pour s'engager dans les F.F.L. Il fallait donc recruter des femmes pour être secrétaires, agents de liaison, et s'occuper des camarades arrêtés et de leurs familles. Robert Lagarde a eu l'idée assez neuve et originale que des femmes avaient un rôle capital à jouer dans un réseau de Résistance, qu'elles étaient capables de faire cette sorte de guerre aussi bien que des hommes, et qu'il fallait leur faire confiance.
J'ai contacté le réseau par l'intermédiaire de "Séverane", qui m'a mise en contact, en mars 1943, avec "Renée" (Antoinette Spicher), assistante sociale à la Croix Rouge de Lyon, dont l'appartement, rue Molière, servait de "point de chute" à notre réseau. Renée pouvait avoir 35 ans, elle était belle, grave, réfléchie, entièrement dévouée à notre cause. Comme j'allais en vacances dans un petit village de l'Ain, elle m'a d'abord demandé de lui trouver du ravitaillement pour des clandestins de Lyon, ou de passage à Lyon. Pendant tout l'été 1943, j'ai envoyé des colis à l'adresse de Renée et de la Croix Rouge.
Mais cela n'était pas suffisant : le réseau avait besoin d'agents de liaison, entièrement disponibles pour aller au maquis (Saint-Claude), à Paris, et à l'intérieur de Lyon. En novembre 1943, j'ai abandonné mes études à la Faculté de Lettre de Lyon pour entrer dans la clandestinité. J'avais une chambre à Vaise, chez de vieux lyonnais qui ont compris assez vite ce qu'était leur locataire, qui logeaient aussi un jeune couple juif et qui ont accepté de courir des risques. (Après la libération je les ais revus une fois, avec joie. Ils n'avaient pas été inquiétés).
J'ai franchi ce pas sans en parler à mes parents, qui me croyaient étudiante à Lyon. Je ne voulais pas les mêler à un combat qu'ils n'auraient pas compris, ni leur faire courir inutilement de risques).
La Résistance :
je dépendais de "Gabriel" ("Leroy") qui m'a chargée très vite d'organiser les liaisons et m'a envoyé des jeunes filles. Ensemble nous avons mis sur pied un service de liaison qui fonctionnait un peu comme un réseau d'espionnage, avec des pseudonymes, des mots de passe, des signes de reconnaissance (par exemple : les stores d'une fenêtre baissés en cas de danger). Nous avons organisé :
Élève au Lycée de Bourg, j'avais 16 ans au moment de l'Armistice (16 Juin1940). J'ai écouté, tremblante d'émotion et de colère, le vieux Maréchal chevroter "qu'il fallait cesser le combat".
De toutes mes forces, à l'instant même où j'ai entendu ces mots, j'ai dit non. Je continuerai le combat : "La France avait perdu une bataille, elle n'avait pas perdu la guerre". Je n'ai pas entendu l'appel du Général De Gaulle, mais j'ai appris assez vite qu'à Londres, un général français appelait à la Résistance. J'ai été instantanément gaulliste.
Naturellement rebelle, "passionnaria" de 16 ans, j'étais seule contre tous, dans un pays traumatisé par la débâcle, la défaite, mais aussi soulagé de voir finir la guerre, de ce lâche soulagement dont avait parlé Léon Blum au moment de Munich. Ma famille était pétainiste, mon village, ma ville, le curé, que tous respectaient, les notables : en cet été 1940, il y avait en France 40 millions de pétainistes.
Pour quelle raison ce refus de l'Armistice jaillit du plus profond de moi ?
D'abord par un patriotisme simple et vif. J'aimais la France "mère des arts, des armes et des lois".
J'aimais "cette terre charnelle". Le beau poème de Péguy, je me le redisais avec passion : "heureux les épis mûrs et les blés moissonnés" : La présence des soldats allemands sur notre sol me révoltait comme une souillure. Cette "armée de soldats verts", il fallait "la bouter hors de France".
D'autre part, malgré mon jeune âge, j'étais motivée plus politiquement : je savais que le régime, en Allemagne, était dictatorial et antisémite, j'avais entendu à la radio Hitler injurier les "ploutocraties", j'avais entendu hurler des foules fanatisées. Tout cela me paraissait très grave et menaçant pour mon pays et notre liberté.
Ma résistance a d'abord été enfantine : je traçais des croix de lorraine sur les murs, le V de la victoire, je portais fièrement la croix de Lorraine au revers de mon manteau ...
Deux ans ont passé, j'ai grandi. En 1942, j'étais en Khâgne à Lyon, étudiante en philosophie, et avec un groupe très restreint d'amis étudiants nous avons commencé à organiser un "comité de Résistance Inter-Faculté" : Il comprenait quelques étudiants en lettres : Georges Lesèvre, (Séverane), Georges Epstein ("Fanfan"), en médecine : le docteur Jeune ("Martin"), Georges Graber ("Garnier"), moi-même, "Maryse", plus tard en 1943, Hélène Roederer, qui nous donnait à distribuer dans les boîtes aux lettres le journal clandestin "Défense de la France".
À partir de 1943, nous avons été en contact avec le service Périclès, orienté contre le départ en Allemagne des jeunes gens touchés par le S.T.O., et vers la création de maquis, en particulier dans le Haut Jura, au-dessus de Saint-Claude (Viry, La Pesse, ...).
Le Lieutenant-colonel Robert Lagarde, au charisme indéniable, officier de réserve, ancien officier de renseignement au IIème Bureau, a fondé le service "Périclès" ou "École des Cadres du Maquis" qui recrutait des étudiants. Son idée était qu'il fallait encadrer les jeunes gens qui prenaient le maquis dans la montagne, ne pas les laisser livrés à eux-mêmes, comme des enfants perdus, en proie à la tentation du découragement. Dès 1943, le Service Périclès reçoit le soutien matériel financier et moral des M.U.R (fondés par Jean Moulin) et travaille en liaison étroite avec Henry Frenay ("Combat").
Il y aurait à faire tout un travail historique sur ce réseau "Périclès" qui a été si singulier, si profondément original. Je me propose ici de parler seulement des femmes de ce réseau dont je faisais partie. Leur rôle a été plus important qu'on ne le sait d'habitude, et Robert Lagarde les à recrutées systématiquement et massivement.
Pourquoi ? D'abord pour une raison évidente : deux millions de français étaient prisonniers en Allemagne, presque tous les hommes dans la force de l'âge. D'autres avaient gagné l'Angleterre pour s'engager dans les F.F.L. Il fallait donc recruter des femmes pour être secrétaires, agents de liaison, et s'occuper des camarades arrêtés et de leurs familles. Robert Lagarde a eu l'idée assez neuve et originale que des femmes avaient un rôle capital à jouer dans un réseau de Résistance, qu'elles étaient capables de faire cette sorte de guerre aussi bien que des hommes, et qu'il fallait leur faire confiance.
J'ai contacté le réseau par l'intermédiaire de "Séverane", qui m'a mise en contact, en mars 1943, avec "Renée" (Antoinette Spicher), assistante sociale à la Croix Rouge de Lyon, dont l'appartement, rue Molière, servait de "point de chute" à notre réseau. Renée pouvait avoir 35 ans, elle était belle, grave, réfléchie, entièrement dévouée à notre cause. Comme j'allais en vacances dans un petit village de l'Ain, elle m'a d'abord demandé de lui trouver du ravitaillement pour des clandestins de Lyon, ou de passage à Lyon. Pendant tout l'été 1943, j'ai envoyé des colis à l'adresse de Renée et de la Croix Rouge.
Mais cela n'était pas suffisant : le réseau avait besoin d'agents de liaison, entièrement disponibles pour aller au maquis (Saint-Claude), à Paris, et à l'intérieur de Lyon. En novembre 1943, j'ai abandonné mes études à la Faculté de Lettre de Lyon pour entrer dans la clandestinité. J'avais une chambre à Vaise, chez de vieux lyonnais qui ont compris assez vite ce qu'était leur locataire, qui logeaient aussi un jeune couple juif et qui ont accepté de courir des risques. (Après la libération je les ais revus une fois, avec joie. Ils n'avaient pas été inquiétés).
J'ai franchi ce pas sans en parler à mes parents, qui me croyaient étudiante à Lyon. Je ne voulais pas les mêler à un combat qu'ils n'auraient pas compris, ni leur faire courir inutilement de risques).
La Résistance :
je dépendais de "Gabriel" ("Leroy") qui m'a chargée très vite d'organiser les liaisons et m'a envoyé des jeunes filles. Ensemble nous avons mis sur pied un service de liaison qui fonctionnait un peu comme un réseau d'espionnage, avec des pseudonymes, des mots de passe, des signes de reconnaissance (par exemple : les stores d'une fenêtre baissés en cas de danger). Nous avons organisé :
1. La liaison vers Paris : une ou
deux fois par semaine, elle était assurée par la toute frêle Nancy, qui a été
arrêtée et déportée en juin 1944, et par Jeanine aux cheveux dorés qui est
passé entre les mailles du filet. J'allais leur porter la valise contenant le
courrier dans les environs de Perrache, un peu avant leur départ. Il leur
fallait franchir la ligne de démarcation, et c'était chaque fois un moment
d'angoisse à dissimuler avec soin.
2. La liaison vers Saint-Claude et ses maquis, assurée par Jeannette et Norante, arrêtées au maquis et déportées toutes les deux. Je suis allée plusieurs fois à Saint-Claude accompagner des jeunes gens. Nous pensions qu'un couple était moins suspect qu'un homme seul.
3. La liaison à l'intérieur de Lyon, assurée par moi, Maryse, qui ai échappé de justesse la capture. Je passais 2 fois par jour relever le courrier dans les "boîtes aux lettres" que nous avions dans la ville. Je transmettais tous les jours ce courrier au Centre qui m'envoyait un agent de liaison. J'allais aussi, à heures invariables, aux "point de chute", rendez-vous fixés sur un plan de Lyon que tous les membres du réseau possédaient. Ces rendez-vous changeaient tous les jours, avec le Centre. Je rencontrais aussi "Garnier", qui était seul à être en contact avec le graveur - dont j'ai ignoré le nom - qui nous fabriquait des faux tampons.
Tout cela était très romanesque et plaisait à notre goût de l'aventure.
2. La liaison vers Saint-Claude et ses maquis, assurée par Jeannette et Norante, arrêtées au maquis et déportées toutes les deux. Je suis allée plusieurs fois à Saint-Claude accompagner des jeunes gens. Nous pensions qu'un couple était moins suspect qu'un homme seul.
3. La liaison à l'intérieur de Lyon, assurée par moi, Maryse, qui ai échappé de justesse la capture. Je passais 2 fois par jour relever le courrier dans les "boîtes aux lettres" que nous avions dans la ville. Je transmettais tous les jours ce courrier au Centre qui m'envoyait un agent de liaison. J'allais aussi, à heures invariables, aux "point de chute", rendez-vous fixés sur un plan de Lyon que tous les membres du réseau possédaient. Ces rendez-vous changeaient tous les jours, avec le Centre. Je rencontrais aussi "Garnier", qui était seul à être en contact avec le graveur - dont j'ai ignoré le nom - qui nous fabriquait des faux tampons.
Tout cela était très romanesque et plaisait à notre goût de l'aventure.
Que transportaient ces agents de
liaison ? Des choses interdites et dangereuses : des journaux clandestins, des
tracts, de faux papiers, des cartes d'alimentation "réquisitionnées",
des armes, du plastic et des détonateurs.
Nous avions l'air tellement jeunes et innocentes que nous nous glissions partout, là où des jeunes gens auraient éveillé la méfiance. Nous accentuions notre air de jeunesse en nous habillant de manière enfantine : un petit béret, des chaussettes blanches, des sandales... Ainsi je me souviens qu'un jour j'étais dans un trolley qui montait à la Croix-Rousse, où j'avais un rendez-vous. Le trolley a été arrêté par des miliciens qui ont fait sortir les passagers et ouvrir les sacs. Dans mon sac j'avais deux fausses cartes d'identité et une boîte de cartouches. J'ai déplié mon mouchoir pour cacher ces choses dangereuses, j'ai ouvert mon sac en faisant un grand sourire au milicien, qui m'a gentiment pris le menton, comme à une enfant... Et plus d'une fois, je n'ai pas résisté au plaisir de faire monter dans un tram, par un soldat allemand, une lourde valise chargée de tracts. Je remerciais gentiment... Un "drôle de jeu" a dit Roger Vaillant... Tout cela était terriblement romanesque, mais aussi très dangereux.
À Lyon, l'hiver 43-44 a été terrible : la Gestapo de Barbie, efficacement appuyée par la Milice de Touvier, a multiplié les arrestations dans nos rangs. Tous les soirs un camarade manquait à l'appel, et nous attendions, blêmes de froid et d'anxiété sous la lumière bleue des réverbères. Nous savions maintenant ce qui se passait à l'École de Santé ou Place Bellecour, siège de la Gestapo, et Rue Sainte-Hélène, siège de la Milice. Nous savions que les camarades arrêtés étaient abominablement torturés dans le but de les faire parler, mais aussi de les avilir, de les détruire dans leur humanité même. Ces abominations renforçaient notre volonté de lutter. Le nazisme nous est apparu alors comme un mal absolu qu'il fallait combattre pour des raisons philosophiques et morales : "pour l'honneur de l'espèce humaine".
Dans ce réseau Périclès, à Lyon, en 43-44, il y avait aussi Madame Séverane (40 ans, femme d'un professeur de technique, mère de Séverane). Responsable du Service Social, elle s'occupait des prisonniers et de leurs familles. Arrêtée à Perrache en mars 1944, en mars 1944, en même temps que "Marceau", et torturée par Barbie, elle a témoigné à son procès. (cf. son livre : "Face à Barbie" - Lise Lesèvre). Son mari et son jeune fils de 15 ans ont été arrêtés eux aussi et sont morts en déportation.
Il y avait la petite Annette (18 ans) qui était secrétaire au Centre. Un petit bout de fille aux yeux gris, d'une énergie sensationnelle qui, elle aussi, a échappé de justesse à la capture. Nous avons suivi le même chemin : comme moi elle a gagné le maquis du Haut-Jura, en juin 1944, et après, à la Libération, s'est engagée au Premier Régiment de Franche-Comté.
Il y avait Danièle (étudiante en philosophie à Lyon, de mon âge). Haute comme trois pommes et courageuse comme un lion, elle est allée libérer avec deux camarades, revolver au poing, deux jeunes résistants emprisonnés à Périgueux, qui allaient être livrés à la Gestapo, et les a ramenés à Lyon par le train. L'appartement de sa mère, Rue Saint-Etienne, servait de "point de chute" à nos agents, de véritable repaire à la Résistance. Danièle a été arrêtée le 6 juin 1944, et déportée. Elle est morte en 1975, brisée par la déportation et par la vie.
Plus tard, dans le maquis du Haut-Doubs, il y a eu Marie-Hélène Vuilleumier (35 ans, professeur de Lettres au Collège Sévigné, à Paris), blessée au combat de la Planée, achevées par les Allemands ; et Francine, arrêtée lors de ce combat (voir plus loin, dans la partie : Maquis).
Il y en a eu d'autres, que je connaissais moins, parce qu'elles étaient "basées" à Paris -(Christine, par exemple). Des femmes courageuses ont mis leur appartement à notre disposition, ont accepté de servir de "point de chute", ce qui était dangereux, car leur adresse était connue de beaucoup de gens.
Le Maquis : (été 44). Au début de juin 1944, à Lyon, les survivants de "Périclès" ont reçu l'ordre de Robert de se réfugier au plus vite dans un maquis du Jura. Je suis partie le 5 juin, avec "Garnier" et "Michel". Les voies étaient coupées, la circulation des trains difficile. Le soir du 5 juin, nous avons couché à Lons-le-Saunier, dans un hôtel rempli d'Allemands. Au matin, nous avons pris un car pour Champagnole, et de là, nous sommes montés à pied, sac au dos, jusqu'à Nozeroy où nous avions un point de chute : l'Hôtel du Parc. Nous sommes arrivés à l'hôtel, à 17 heures, au moment où le patron écoutait, debout, la radio de Londres, le Général de Gaulle annonçant le débarquement : "Alors va se lever le soleil de notre grandeur..."
Nous nous sommes installés dans une ferme, à la Grange des Prés, nous avons réquisitionné des vélos, et j'ai assuré la liaison entre différents marquis cachés dans les forêts. En cet été 44, des centaines de gens ont gagné les maquis du Jura. Nous qui venions de Lyon, où nous étions traqués par la Gestapo, où nous mourrions de faim, nous avons éprouvé, en arrivant au maquis une incroyable sensation de liberté, de libération, de bonheur.
Pour assurer les liaisons, je portais une robe, bleue et rose, un corsage blanc et je passais inaperçue. Après la Grange des Prés, j'ai été envoyée au poste de commandement de R. Lagarde, au-dessus de la Planée, près de Pontarlier. Nous étions une douzaine dans ce camp, dont quatre jeunes filles : Marie-Hélène, Jeannick, Francine et moi. Au début de juillet, Robert et Jeannick sont passés en Suisse pour une mission importante. En leur absence notre camp avait été installé trop près de Pontarlier, où étaient cantonnées des troupes allemandes. Les Allemands, intrigués par la circulation des voitures à proximité de la forêt, ont envoyé, le 13 juillet, une patrouille qui a ramassé sur la route un de mes agents de liaison. Emmené à Pontarlier, menacé d'être fusillé, il a accepté de conduire une compagnie allemande à notre camp.
J'étais au village quand les Allemands sont arrivés, vers 16 heures. Il y avait une automitrailleuse et plusieurs camions remplis de soldats. Ils ont jailli sur la route, devant moi. J'ai posé mon vélo, et je me suis glissée derrière une grande maison. Les propriétaires m'ont proposé de me réfugier chez eux par la fenêtre. J'ai refusé et je suis restée blottie derrière un buisson ; les Allemands fouillaient le village, ils ont arrêté un de mes camarades, Simon, qu'ils ont blessé. Je me suis élancée en direction de la forêt, un soldat m'a poursuivie, et a tiré sur moi au fusil, sans m'atteindre. J'ai rampé à l'abri d'un champ de seigle, et j'ai gagné la forêt où j'ai erré pendant des heures.
Pendant ce temps, le camp était attaqué par les Allemands. Marie-Hélène a été blessée dès le début de la fusillade, puis achevée. Jeannick s'est échappée en fuyant dans la forêt, Francine a été arrêtée. À l'interprète qui lui demandait ce qu'elle faisait là, elle a répondu : "je suis du maquis, et je suis fière d'être du maquis". Elle a pu sauter du train qui la déportait vers l'Allemagne. En Alsace, elle a été recueillie et cachée au Couvent du Mont-Saint-0dile jusqu'à la fin de la guerre.
Le lendemain, j'ai été retrouvée par "Gazelle" (Dornier), qui m'a conduite dans une ferme, où étaient cachés les rescapés : Robert, Jeannick, Thalney, etc... Nous avons "récupéré" pendant deux ou trois jours. Puis Robert est parti installer son P.C. à Lemuy, et moi, avec mes agents de liaison, je me suis installée dans une grande demeure, à Montorge, en pleine forêt, près du village d'Arc-sous-Montenot. Le curé d'Arc, l'Abbé Schultz, d'origine alsacienne, aidait la Résistance depuis des années, et mettait sa cure à notre disposition. Je garde un souvenir émerveillé de la chaleur de son accueil. À Montorge nous avons célébré la Libération de Paris, en chantant devant un feu de camp... La Libération approchait. Beaucoup de liaisons étaient maintenant assurées par des lignes téléphoniques mises en place par un officier de marine, rallié de la dernière heure à la Résistance. Mais jusqu'au bout, des agents de liaison en bicyclette ont parcouru les routes et les forêts du Jura.
Après la libération, des jeunes filles du Service Périclès se sont engagées au Service Social du Premier Régiment de Franche-Comté. Ce régiment a été formé à partir des maquis du Jura et du Doubs, intégré à la Première Armée Française, et il a participé à tous les combats. (Prise de Colmar en février 45, puis invasion de l'Allemagne et de l'Autriche jusqu'au lac de Constance). Annette et moi avons passé Noël au Régiment, près de la Bresse (Vosges) sur le flanc du Honneck. Nous avions maintenant un uniforme, mais aussi un foulard rouge, et nous avons accompagné nos camarades jusqu'au bout, jusqu'à la victoire (8 mai 1945).
Alors seulement nous sommes rentrées chez nous, dans nos familles qui nous attendaient. Il n'a pas été simple de retrouver "la vie de tous les jours aux travaux ennuyeux et faciles"... À l'automne, j'ai repris le chemin de la Faculté de Lettres de Lyon, avec une bourse de victime de la guerre. Je suis devenue professeur de philosophie en octobre 1948.
Nous avions l'air tellement jeunes et innocentes que nous nous glissions partout, là où des jeunes gens auraient éveillé la méfiance. Nous accentuions notre air de jeunesse en nous habillant de manière enfantine : un petit béret, des chaussettes blanches, des sandales... Ainsi je me souviens qu'un jour j'étais dans un trolley qui montait à la Croix-Rousse, où j'avais un rendez-vous. Le trolley a été arrêté par des miliciens qui ont fait sortir les passagers et ouvrir les sacs. Dans mon sac j'avais deux fausses cartes d'identité et une boîte de cartouches. J'ai déplié mon mouchoir pour cacher ces choses dangereuses, j'ai ouvert mon sac en faisant un grand sourire au milicien, qui m'a gentiment pris le menton, comme à une enfant... Et plus d'une fois, je n'ai pas résisté au plaisir de faire monter dans un tram, par un soldat allemand, une lourde valise chargée de tracts. Je remerciais gentiment... Un "drôle de jeu" a dit Roger Vaillant... Tout cela était terriblement romanesque, mais aussi très dangereux.
À Lyon, l'hiver 43-44 a été terrible : la Gestapo de Barbie, efficacement appuyée par la Milice de Touvier, a multiplié les arrestations dans nos rangs. Tous les soirs un camarade manquait à l'appel, et nous attendions, blêmes de froid et d'anxiété sous la lumière bleue des réverbères. Nous savions maintenant ce qui se passait à l'École de Santé ou Place Bellecour, siège de la Gestapo, et Rue Sainte-Hélène, siège de la Milice. Nous savions que les camarades arrêtés étaient abominablement torturés dans le but de les faire parler, mais aussi de les avilir, de les détruire dans leur humanité même. Ces abominations renforçaient notre volonté de lutter. Le nazisme nous est apparu alors comme un mal absolu qu'il fallait combattre pour des raisons philosophiques et morales : "pour l'honneur de l'espèce humaine".
Dans ce réseau Périclès, à Lyon, en 43-44, il y avait aussi Madame Séverane (40 ans, femme d'un professeur de technique, mère de Séverane). Responsable du Service Social, elle s'occupait des prisonniers et de leurs familles. Arrêtée à Perrache en mars 1944, en mars 1944, en même temps que "Marceau", et torturée par Barbie, elle a témoigné à son procès. (cf. son livre : "Face à Barbie" - Lise Lesèvre). Son mari et son jeune fils de 15 ans ont été arrêtés eux aussi et sont morts en déportation.
Il y avait la petite Annette (18 ans) qui était secrétaire au Centre. Un petit bout de fille aux yeux gris, d'une énergie sensationnelle qui, elle aussi, a échappé de justesse à la capture. Nous avons suivi le même chemin : comme moi elle a gagné le maquis du Haut-Jura, en juin 1944, et après, à la Libération, s'est engagée au Premier Régiment de Franche-Comté.
Il y avait Danièle (étudiante en philosophie à Lyon, de mon âge). Haute comme trois pommes et courageuse comme un lion, elle est allée libérer avec deux camarades, revolver au poing, deux jeunes résistants emprisonnés à Périgueux, qui allaient être livrés à la Gestapo, et les a ramenés à Lyon par le train. L'appartement de sa mère, Rue Saint-Etienne, servait de "point de chute" à nos agents, de véritable repaire à la Résistance. Danièle a été arrêtée le 6 juin 1944, et déportée. Elle est morte en 1975, brisée par la déportation et par la vie.
Plus tard, dans le maquis du Haut-Doubs, il y a eu Marie-Hélène Vuilleumier (35 ans, professeur de Lettres au Collège Sévigné, à Paris), blessée au combat de la Planée, achevées par les Allemands ; et Francine, arrêtée lors de ce combat (voir plus loin, dans la partie : Maquis).
Il y en a eu d'autres, que je connaissais moins, parce qu'elles étaient "basées" à Paris -(Christine, par exemple). Des femmes courageuses ont mis leur appartement à notre disposition, ont accepté de servir de "point de chute", ce qui était dangereux, car leur adresse était connue de beaucoup de gens.
Le Maquis : (été 44). Au début de juin 1944, à Lyon, les survivants de "Périclès" ont reçu l'ordre de Robert de se réfugier au plus vite dans un maquis du Jura. Je suis partie le 5 juin, avec "Garnier" et "Michel". Les voies étaient coupées, la circulation des trains difficile. Le soir du 5 juin, nous avons couché à Lons-le-Saunier, dans un hôtel rempli d'Allemands. Au matin, nous avons pris un car pour Champagnole, et de là, nous sommes montés à pied, sac au dos, jusqu'à Nozeroy où nous avions un point de chute : l'Hôtel du Parc. Nous sommes arrivés à l'hôtel, à 17 heures, au moment où le patron écoutait, debout, la radio de Londres, le Général de Gaulle annonçant le débarquement : "Alors va se lever le soleil de notre grandeur..."
Nous nous sommes installés dans une ferme, à la Grange des Prés, nous avons réquisitionné des vélos, et j'ai assuré la liaison entre différents marquis cachés dans les forêts. En cet été 44, des centaines de gens ont gagné les maquis du Jura. Nous qui venions de Lyon, où nous étions traqués par la Gestapo, où nous mourrions de faim, nous avons éprouvé, en arrivant au maquis une incroyable sensation de liberté, de libération, de bonheur.
Pour assurer les liaisons, je portais une robe, bleue et rose, un corsage blanc et je passais inaperçue. Après la Grange des Prés, j'ai été envoyée au poste de commandement de R. Lagarde, au-dessus de la Planée, près de Pontarlier. Nous étions une douzaine dans ce camp, dont quatre jeunes filles : Marie-Hélène, Jeannick, Francine et moi. Au début de juillet, Robert et Jeannick sont passés en Suisse pour une mission importante. En leur absence notre camp avait été installé trop près de Pontarlier, où étaient cantonnées des troupes allemandes. Les Allemands, intrigués par la circulation des voitures à proximité de la forêt, ont envoyé, le 13 juillet, une patrouille qui a ramassé sur la route un de mes agents de liaison. Emmené à Pontarlier, menacé d'être fusillé, il a accepté de conduire une compagnie allemande à notre camp.
J'étais au village quand les Allemands sont arrivés, vers 16 heures. Il y avait une automitrailleuse et plusieurs camions remplis de soldats. Ils ont jailli sur la route, devant moi. J'ai posé mon vélo, et je me suis glissée derrière une grande maison. Les propriétaires m'ont proposé de me réfugier chez eux par la fenêtre. J'ai refusé et je suis restée blottie derrière un buisson ; les Allemands fouillaient le village, ils ont arrêté un de mes camarades, Simon, qu'ils ont blessé. Je me suis élancée en direction de la forêt, un soldat m'a poursuivie, et a tiré sur moi au fusil, sans m'atteindre. J'ai rampé à l'abri d'un champ de seigle, et j'ai gagné la forêt où j'ai erré pendant des heures.
Pendant ce temps, le camp était attaqué par les Allemands. Marie-Hélène a été blessée dès le début de la fusillade, puis achevée. Jeannick s'est échappée en fuyant dans la forêt, Francine a été arrêtée. À l'interprète qui lui demandait ce qu'elle faisait là, elle a répondu : "je suis du maquis, et je suis fière d'être du maquis". Elle a pu sauter du train qui la déportait vers l'Allemagne. En Alsace, elle a été recueillie et cachée au Couvent du Mont-Saint-0dile jusqu'à la fin de la guerre.
Le lendemain, j'ai été retrouvée par "Gazelle" (Dornier), qui m'a conduite dans une ferme, où étaient cachés les rescapés : Robert, Jeannick, Thalney, etc... Nous avons "récupéré" pendant deux ou trois jours. Puis Robert est parti installer son P.C. à Lemuy, et moi, avec mes agents de liaison, je me suis installée dans une grande demeure, à Montorge, en pleine forêt, près du village d'Arc-sous-Montenot. Le curé d'Arc, l'Abbé Schultz, d'origine alsacienne, aidait la Résistance depuis des années, et mettait sa cure à notre disposition. Je garde un souvenir émerveillé de la chaleur de son accueil. À Montorge nous avons célébré la Libération de Paris, en chantant devant un feu de camp... La Libération approchait. Beaucoup de liaisons étaient maintenant assurées par des lignes téléphoniques mises en place par un officier de marine, rallié de la dernière heure à la Résistance. Mais jusqu'au bout, des agents de liaison en bicyclette ont parcouru les routes et les forêts du Jura.
Après la libération, des jeunes filles du Service Périclès se sont engagées au Service Social du Premier Régiment de Franche-Comté. Ce régiment a été formé à partir des maquis du Jura et du Doubs, intégré à la Première Armée Française, et il a participé à tous les combats. (Prise de Colmar en février 45, puis invasion de l'Allemagne et de l'Autriche jusqu'au lac de Constance). Annette et moi avons passé Noël au Régiment, près de la Bresse (Vosges) sur le flanc du Honneck. Nous avions maintenant un uniforme, mais aussi un foulard rouge, et nous avons accompagné nos camarades jusqu'au bout, jusqu'à la victoire (8 mai 1945).
Alors seulement nous sommes rentrées chez nous, dans nos familles qui nous attendaient. Il n'a pas été simple de retrouver "la vie de tous les jours aux travaux ennuyeux et faciles"... À l'automne, j'ai repris le chemin de la Faculté de Lettres de Lyon, avec une bourse de victime de la guerre. Je suis devenue professeur de philosophie en octobre 1948.
Romano
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