mercredi 20 novembre 2013

Des documents aux marges de l’Histoire


Des documents aux marges de l’Histoire

Nantes était libérée depuis le 12 août 44, Paris, depuis le 25 août. À partir du 5 février 1945, plus aucun soldat allemand sur le sol français… Hors mis dans les poches de l’Atlantique. Cinq poches où étaient enfermés avec 120 000 soldats allemands, 150 000 civils qui devraient attendre leur libération jusqu’au 8 mai 1945 et même jusqu’au 11 pour la poche de Saint-Nazaire, la plus peuplée et la dernière libérée. Une bizarrerie de l’histoire sur laquelle l’histoire officielle ne s’est pas encore vraiment penchée. De la Hollande jusqu’à l’Espagne, outre les forteresses hollandaises et les îles anglo-normandes, se succédaient en effet les poches de Dunkerque, Lorient, Saint-Nazaire, la Rochelle-La Pallice et les poches de Gironde (Royan, le Verdon, Gironde nord et sud).

Dans la poche de Saint-Nazaire prenant la forme d’une zone quasiment circulaire d’un rayon de 25 kilomètres, se trouvaient enfermés près de 130 000 civils et 30 000 soldats allemands… gardés par 16 000 FFI. Au sud de la Loire, la poche s’étendait sur 11 communes du nord pays de Retz : Frossay, Saint-Viaud, Paimbœuf, La Sicaudais, Saint-Père-en-Retz, Saint-Brévin, Saint-Michel-Chef-Chef, Tharon, La Plaine, Sainte-Marie et Pornic. Y étaient enfermés 22 000 civils avec 9 000 soldats allemands. Au nord de la Loire, une zone plus vaste incluant la Festung de Saint-Nazaire, longeait un arc partant de la Roche-Bernard, suivant la rive sud de la Vilaine et bifurquant le long du canal de Nantes à Brest pour aboutir à la Loire à la hauteur de Cordemais.

Ces 9 mois d’occupation supplémentaire allaient laisser beaucoup d’amertume aux populations empochées qui mirent beaucoup de temps avant de revenir sur ces souffrances et ces humiliations. Combien de fois ai-je entendu dans la bouche de mes témoins : « On a été oublié, et en plus on a voulu nous faire honte » ! Il faut dire que dans la ville de  Nantes libéré de Noël 44, on ne parlait guère des empochés ou, pire, certains parlaient des « Collabos de la poche » ! À la mi-janvier 1945, de Gaulle lui-même, venu décorer la ville de Nantes, s’inquiéta du sort des FFI encerclant la poche mais n’eut pas un mot pour les civils assiégés.  Rien d’étonnant à cela, de Gaulle n’à jamais été un sentimental

Je n’ai pourtant pas noté de collaboration avérée. Du marché noir alimentaire, bien sûr, comme partout, mais surtout une grande solidarité rurale, et en tout cas très peu de collaboration politique et encore moins militaire. Au contraire, à chaque fois qu’on l’a pu, on a transmis aux FFI les informations sur les positions, les habitudes et les forces de l’ennemi, et j’ai découvert beaucoup d’actes de résistance individuelle accomplis par des héros ordinaires de tous âges, dont beaucoup de femmes et parfois même des enfants.

Sans doute faut-il reconnaître des connivences sécuritaires ou alimentaires avec un ennemi couchant sous le même toit et, par la force des choses, partageant des intérêts communs, depuis le pain, le vin, le lait et la viande jusqu’à l’abri protégeant des balles et des obus. Une inquiétude commune taraudait l’esprit des occupants et des occupés : « Comment cela va-t-il finir ?… Comme à Royan, sous un tapis de bombes » ? Et les bombes ne feraient pas de différence entre Français et Allemands ! Mais cette angoisse commune ne constitue pas une illustration très convaincante d’un syndrome de Stockholm avant l’heure

Dans cette mémoire meurtrie et encore mal consolée, on trouve bien sûr le souvenir des privations de ce dernier hiver : la faim, le froid, le manque de lumière, la peur quotidienne de la balle perdue ; le souvenir des victimes collatérales de la guerre, comme ces 15 paysans tués lors de la catastrophe du Boivre à quelques semaines de la Libération ; tous les morts civils sous les obus, les bombes ou les tirs, allemands parfois, mais surtout français, destinés sans doute à l’ennemi, mais fauchant aussi des civils se trouvant au mauvais endroit dans cette poche en peau de léopard où les cantonnements allemands s’imbriquaient avec les villages français. Mais il y a surtout le souvenir pour des centaines de familles, de l’expulsion de leurs fermes, du pillage et de la destruction de leurs biens, et pour tous, le sentiment d’un abandon et d’une cicatrice historique mal fermée

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