jeudi 7 novembre 2013

Hitler, encore lui….

Hitler, encore lui….
En janvier 1922, Hitler est condamné à trois mois de prison (dont deux avec sursis) pour « troubles à l’ordre public ». Il purge cette peine entre juin et juillet 1922 à Munich. Hitler est même menacé d’être expulsé de Bavière.
Admirateur fervent de Mussolini (dont un buste ornera durablement son bureau), Hitler rêve d'avoir à son tour sa « marche sur Rome » qui le fasse accéder au pouvoir par la force.
En novembre 1923, alors que l'économie s'est effondrée avec l'occupation de la Ruhr, que le papier mark rongé par l'hyperinflation ne vaut plus rien et que des entreprises séparatistes ou communistes secouent certaines parties de l'Allemagne, Hitler croit le moment venu pour prendre le contrôle de la Bavière avant de marcher sur Berlin et d'en chasser le gouvernement élu.
Les 8 et 9 novembre 1923, il conduit avec le
Maréchal Erich Ludendorff.
Le coup d'État avorté de Munich connu comme le Putsch de la Brasserie. Le complot bâclé est facilement mis en déroute, et lors d'un heurt de ses troupes avec la police devant la Feldherrnhalle, Hitler est lui-même blessé tandis que sont tués 16 de ses partisans, promus ultérieurement « martyrs » iconiques du nazisme.
Le NSDAP est aussitôt interdit. En fuite puis vite arrêté, Hitler est inculpé de conspiration contre l’État. À partir de cet instant, il se résoudra à se tourner tactiquement vers la seule voie légale pour arriver à ses fins.
Mais dans l'immédiat, il sait exploiter son procès en se servant de la barre comme d'une tribune : la médiatisation de son procès lui permet de se mettre en vedette et de se faire connaître à travers le reste de l'Allemagne. Les magistrats, reflétant l'attitude des élites traditionnelles peu attachées à la République de Weimar, se montrent assez indulgents à son égard. Le 1er avril 1924, il est condamné à cinq ans de réclusion criminelle pour « haute trahison », dont il purgera moins d'une année, à la prison de Landsberg am Lech.
Pendant sa détention, il dicte à son secrétaire Rudolf Hess son ouvrage Mein Kampf, récit autobiographique, et surtout manifeste politique, appelé à devenir le manifeste du mouvement nazi. Hitler y dévoile sans fard l’idéologie redoutable et très cohérente qu’il a achevé de se constituer depuis 1919 (Weltanschauung), dont il ne variera plus et qu’il cherchera à mettre en pratique.
Outre sa haine de la démocratie, de la France « ennemie mortelle du peuple allemand », du socialisme et du « judéo-bolchevisme », sa doctrine repose sur sa conviction intime à base pseudo-scientifique d’une lutte darwinienne entre différentes « races » foncièrement inégales. Au sommet d’une stricte pyramide, se trouverait la race allemande ou « race des Seigneurs », qualifiée tantôt de « race nordique » et tantôt de « race aryenne » (et dont les plus éminents représentants seraient les grands blonds aux yeux bleus, quoiqu’Hitler soit lui-même petit et brun). Cette race supérieure doit être « purifiée » de tous les éléments étrangers, « non-allemands » (undeutsch), juifs ou malades, et doit dominer le monde par la force brute. Au traditionnel pangermanisme visant à regrouper tous les Allemands ethniques dans un même État, Hitler ajoute la conquête d’un Lebensraum (espace vital) indéfini, à arracher notamment à l’Est aux « sous-hommes » polonais et slaves. Enfin, Hitler parle constamment d’« éradiquer » (ausrotten) ou d’« anéantir » (vernichten) les Juifs, comparés à des vermines ou des poux, qui ne sont pas seulement pour lui une race radicalement inférieure, mais aussi radicalement dangereuse.
Hitler a principalement emprunté sa vision ultra-raciste à Gobineau et H. S. Chamberlain, son culte du surhomme à Nietzsche, son obsession de la décadence à Oswald Spengler, les concepts de race nordique et d'espace vital à l'idéologue du parti Alfred Rosenberg. Il puise aussi dans la « révolution conservatrice » animée par Arthur Moeller van den Bruck, dont il a lu l'ouvrage Le Troisième Reich.

Après seulement 13 mois de détention et malgré l’opposition déterminée du procureur Stenglein, il bénéfice d’une libération anticipée le 20 décembre 1924.
Craignant d’être expulsé vers l’Autriche, Hitler renonce à la nationalité autrichienne le 30 avril 1925. Devenu apatride (lui qui fera ultérieurement déporter les apatrides, contraints dans les camps de concentration au port d’un insigne spécifique), et bien qu’il soit interdit de parole en public jusqu’au 5 mars 1927, il reconstruit son parti et retrouve une certaine popularité.
Si ses succès électoraux restent modestes avant 1928, le NSDAP rend ses structures plus performantes et s’étend géographiquement. Il diversifie ses organisations de masse en créant des associations qui ciblent chacune une catégorie sociale : étudiants, paysans, ouvriers, femmes, intellectuels, jeunes (Hitlerjugend fondée en 1926), etc. Le Parti nazi constitue ses forces en contre-société et en contre-gouvernement susceptibles, le jour venu, de se substituer de plain-pied au pouvoir en place.
Allié à Julius Streicher, un propagandiste antisémite pornographe et très violent dont la clientèle est centrée sur la ville de Nuremberg, Hitler fait de celle-ci la ville des congrès du parti. Le parti est implanté en Allemagne du Nord par les frères Otto et Gregor Strasser, qui mettent plus qu’Hitler l’accent sur le côté socialiste du nazisme et souhaitent l’alliance avec l’URSS contre les « ploutocraties » occidentales. Face à ces derniers, ses seuls concurrents sérieux pour la direction du parti, Hitler renforce son autorité personnelle.
C’est à partir de cette date qu’il impose comme obligatoire dans le parti le salut nazi prononcé bras tendu — Heil Hitler ! ou, si l’on est face à lui, Heil mein Führer ! —, un rappel permanent de sa suprématie. C’est de cette époque aussi que date l’entrée en scène de Joseph Goebbels, Gauleiter de Berlin, l’un de ses plus fidèles soutiens — lequel, proche des frères Strasser au départ, avait d’abord traité Hitler de « petit-bourgeois » et demandé son exclusion du parti, avant de succomber à son charisme en 1926.
Les SA, la brutale milice du parti qui s’illustre dans les agressions et les combats de rues, posent plus de problèmes à Hitler par leur recrutement populaire assez large et par leur discipline souvent incertaine. La base des SA est partisane d'une « seconde révolution » et exaspérée par les compromis que doit faire le Parti nazi dans sa conquête du pouvoir. Leurs sections berlinoises, commandées par Walter Stennes, iront même jusqu'à saccager à plusieurs reprises les locaux du parti nazi entre 1930 et 1931. Dès 1930, confronté à cette grave mutinerie de leur part, Hitler rappelle de Bolivie son ancien complice du putsch de 1923, Ernst Röhm, qu’il avait mis lui-même sur la touche en 1925 : ce dernier reprend leur tête et rétablit en partie l’ordre dans leurs rangs.
Mais pour permettre à Hitler d’équilibrer la puissance des SA, c’est dès 1925 qu’Heinrich Himmler crée pour lui la SS : chargée de sa garde personnelle, cet « ordre noir », futur instrument de la terreur policière et génocidaire, est une élite beaucoup plus dévouée à la personne même du Führer que les SA. Hitler a toute confiance dans « le fidèle Heinrich », comme il qualifie cet exécutant à l’obéissance aveugle, qui lui voue une admiration notoirement fanatique.
Hitler, dont le train de vie personnel ne cesse de s'embourgeoiser, s'attache aussi à se rendre respectable et rassurant aux yeux des élites traditionnelles. Pour rallier celles-ci, mieux se distinguer des frères Strasser et faire oublier son image d'agitateur plébéien et révolutionnaire, il se prononce par exemple pour l'indemnisation des princes allemands expropriés en 1918 au référendum de 1927. Le magnat de la Ruhr Fritz Thyssen lui apporte ainsi son soutien public.
En 1928, le NSDAP marque le pas et peine à remonter la pente : seuls 2,6 % des votants lui accordent leur confiance aux élections législatives du 28 mai, et il compte moins de 180 000 membres. Mais il n’a plus de concurrent sérieux à l’extrême-droite, car de multiples groupuscules et petits partis de la mouvance völkisch (« nationale-raciste ») ont périclité après 1924-1925, tandis que le vieux maréchal Ludendorff, ancien participant du putsch de la Brasserie qu’Hitler avait habilement poussé à se présenter à la présidentielle de 1925, s’est disqualifié par son score médiocre.
En 1929, pour mieux mener campagne contre le plan Young sur les réparations de guerre dues à la France, le magnat de la presse et chef nationaliste Alfred Hugenberg s'est allié à Hitler, dont il a besoin des talents oratoires, et a financé la campagne de propagande qui a permis au Führer des nazis de se faire connaître dans toute l'Allemagne.
Les fruits de la réorganisation portent à partir de cette date, quand le contexte général devient favorable avec le début d'une grave crise politique et économique.
L'Allemagne n'avait derrière elle en 1918 qu'une faible tradition démocratique. Née d'une défaite et de l'écrasement d'une révolution, la République de Weimar s'était mal enracinée, d'autant que serviteurs et nostalgiques du Kaiser restaient très nombreux dans l'armée, l'administration, l'économie et la population. Le Zentrum catholique, parti membre de la coalition fondatrice de la République, s'engage dans une dérive autoritaire à partir de la fin des années 1920, tandis que communistes, nationalistes du DNVP et nazis continuent de refuser le régime et de le combattre. Enfin, le culte traditionnel des grands chefs et l'attente diffuse d'un sauveur providentiel prédisposaient une bonne part de sa population à s'en remettre à Hitler.
État-nation très récent et fragile, traversé de multiples clivages géographiques, religieux, politiques et sociaux, l'Allemagne entre en plus dans une nouvelle phase d'instabilité politique à partir de 1929. Après le décès de Gustav Stresemann, artisan avec Aristide Briand du rapprochement franco-allemand, la chute du chancelier Hermann Müller en 1930 est celle du dernier gouvernement parlementaire. Il est remplacé par le gouvernement conservateur et autoritaire d’Heinrich Brüning, du Zentrum.
Monarchiste convaincu, le très populaire maréchal Paul Von Hindenburg, porté à la présidence de la République en 1925, cesse de jouer le jeu de la démocratie à partir de 1930. Il se met à gouverner par décrets, nommant des cabinets à ses ordres de plus en plus dépourvus de la moindre majorité au Parlement, usant et abusant de son droit de dissolution du Reichstag — utilisé pas moins de quatre fois de 1930 à 1933. Les institutions de Weimar sont donc vidées de leur substance bien avant qu’Hitler ne leur porte le coup de grâce.
Les conséquences catastrophiques de la crise de 1929 sur l’économie allemande, très dépendante des capitaux rapatriés aux États-Unis immédiatement après le krach de Wall Street, apportent bientôt au NSDAP un succès foudroyant et imprévu. Aux élections du 14 septembre 1930, avec 6,5 millions d'électeurs, 18,3 % des voix et 107 sièges, le parti nazi devient le deuxième parti au Reichstag.
La déflation sévère et anachronique menée par Brüning ne fait qu'aggraver la crise économique et précipite de nombreux Allemands inquiets dans les bras d’Hitler. En constituant avec ce dernier le « Front de Harzburg » en octobre 1931, dirigé contre le gouvernement et la République, Hugenberg et les autres forces des droites nationalistes font involontairement le jeu d’Hitler, dont la puissance électorale et parlementaire fait désormais un personnage de premier plan sur la scène politique.
Le septennat du président Hindenburg se terminant le 5 mai 1932, la droite et le Zentrum, afin d’éviter de nouvelles élections, proposent de renouveler tacitement le mandat présidentiel. L’accord des nazis étant nécessaires, Hitler exige la démission du chancelier Brüning et de nouvelles élections parlementaires. Hindenburg refuse, et le 22 février 1932, Joseph Goebbels annonce la candidature d’Adolf Hitler à la présidence de la République. Le 26 février, Hitler est opportunément nommé Regierungsrat, fonctionnaire d’État, ce qui lui confère automatiquement la nationalité allemande.
Sa campagne électorale est sans précédent sur le plan de la propagande. En particulier, l’usage alors inédit et spectaculaire de l’avion dans ses déplacements électoraux permet à Goebbels de placarder des affiches : « Le Führer vole au-dessus de l’Allemagne ».
Hitler obtient 30,1 % des voix au premier tour le 13 mars 1932 et 36,8 % au second tour en avril, soit 13,4 millions de suffrages qui se portent sur sa personne, doublant le score des législatives de 1930. Soutenu en désespoir de cause par les socialistes, Hindenburg est réélu à 82 ans. Mais lors des scrutins régionaux qui suivent l’élection présidentielle le NSDAP renforce ses positions et arrive partout en tête, sauf dans sa Bavière d'origine. Aux législatives du 31 juillet 1932, il confirme sa position de premier parti d'Allemagne, avec 37,3 % des voix et devient le premier groupe parlementaire. Hermann Göring, bras droit d’Hitler depuis 1923, devient président du Reichstag. Né d'un groupuscule, le culte de Hitler est devenu en moins de deux ans un phénomène de masse capable de toucher plus du tiers des Allemands.
Hitler réussit à faire l'unité d'un électorat très diversifié. Contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas les chômeurs qui ont mis leur espoir en lui (c'est parmi eux que Hitler fait ses moins bons scores), mais les classes moyennes, qui redoutent d'être les prochaines victimes de la crise. Si l'électorat féminin votait fort peu à l'extrême-droite dans les années 1920, la popularité bien connue du Führer auprès des femmes s'est jointe au rapprochement structurel entre vote féminin et vote masculin pour lui assurer des renforts de voix supplémentaires après 1930. Les protestants ont davantage voté pour lui que les catholiques, mais une bonne part du vote de ces derniers était fixé par le Zentrum. Les campagnes, éprouvées par la crise et soumises en Prusse à la rude exploitation quasi-féodale des Junkers, se sont servies du vote envers Hitler à des fins protestataires. Les ouvriers ont moins voté nazi que la moyenne, même si une part non négligeable a été tentée. Quant aux fonctionnaires, aux étudiants ou aux médecins, leur haut niveau d'instruction ne les a pas empêchés d'être surreprésentés dans le soutien au doctrinaire de Mein Kampf.
Allié à la droite nationaliste, bénéficiant du discrédit du Zentrum et de l'obligation pour le SPD de soutenir l'impopulaire Von Papen « pour éviter le pire », Hitler multiplie aussi les déclarations hypocrites où il se pose en démocrate et en modéré, tout en flattant les élites traditionnelles et jusqu'aux Églises par un discours plus traditionaliste qu'avant. Les communistes du KPD, qui réduisent Hitler à un simple pantin du grand capital, lui rendent service en combattant avant tout les socialistes, au nom de la ligne « classe contre classe » du Komintern, et en refusant toute action commune avec eux contre le NSDAP. Le KPD va jusqu'à coopérer avec les nazis lors de la grève des transports à Berlin en 1932.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire