dimanche 20 octobre 2013

Tous ensembles. (Janvier 2000)


Tous ensembles. (Janvier 2000)

L'an 112...(Après Jésus-Christ)

Pline le Jeune était alors gouverneur de Bithynie, une province de l'actuelle Turquie. Il avait reçu l'ordre de faire arrêter les chrétiens, de les interroger et de les faire exécuter s'ils persistaient dans leur culte sectaire. Nous sommes à l'époque des premières grandes persécutions. Une lettre administrative de ce célèbre écrivain de l'antiquité romaine nous est parvenue, dans laquelle il rend compte à l'empereur Trajan de la manière dont il a exécuté les ordres officiels concernant les chrétiens. Il dit en substance : "Je les ai fait arrêter, jeter en prison et je les interrogés, questionnés, plusieurs fois. Ils nient tout ce dont on les accuse, sauf une chose, qu'ils reconnaissent volontiers : c'est qu'ils se rassemblent le premier jour de la semaine, avant l'aube, pour célébrer une louange, par des chants alternés, à un nommé Christo, qu'ils disent être Dieu. Et ils ajoutent que tout leur méfait, c'est de prendre entre eux une nourriture simple, ordinaire et innocente (allusion à l'accusation qu'on faisait alors aux chrétiens de manger des petits enfants)".

Nous avons dans cette lettre le premier témoignage, venant de l'extérieur de la "secte", concernant les habitudes chrétiennes. On y apprend donc que les chrétiens ont l'habitude de se réunir chaque semaine, qu'ils chantent, et qu'ils prennent ensemble un repas.

Vers l’an 150...

Saint Justin est le grand témoin. Ce philosophe converti, qui sera exécuté en 165, écrit dans sa "Première Apologie", au chapitre 46 : "Le jour qu'on appelle le jour du soleil, tous, dans les villes et à la campagne, se réunissent dans un même lieu : on lit les mémoires des apôtres et les écrits des prophètes, autant que le temps le permet. Quand le lecteur a fini, celui qui préside fait un discours sur ces beaux enseignements. Ensuite, nous nous levons tous et nous prions ensemble à haute voix. Lorsque la prière est finie, on apporte du pain avec du vin et de l'eau...Puis a lieu la distribution et le partage à chacun des choses consacrées et l'on envoie leur part aux absents par le ministère des diacres..."

Une lettre ouverte...

C'est sous la forme d'une lettre ouverte que se présente la célèbre "Epitre à Diogène", une apologie qui date également du IIe siècle (vers 190). Dans cette lettre, il nous est dit : "Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par le vêtement...leur genre de vie n'a rien de singulier...Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n'abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ils partagent tous la même table, mais non la même couche..."

Dès les premiers jours...

On retrouve donc ici le même témoignage, comme si c'était la spécificité des chrétiens d'aimer à se réunir pour manger ensemble. Cela n'a rien d'étonnant. Déjà aux premiers jours de la jeune Eglise, à Jérusalem, alors qu'ils n'avaient sans doute pas de lieux désignés pour se retrouver, il nous est dit (Actes des Apôtres 5, 12) qu'ils "se retrouvaient tous, unanimes, sous le portique de Salomon" (dans une cour du Temple), que "personne d'autre n'osait s'agréger à eux," mais que "le peuple faisait leur éloge". Au chapitre 2, verset 48, notation encore plus explicite : "Unanimes, ils se rendaient chaque jour assidûment au Temple ; ils rompaient le pain à domicile, prenant leur nourriture dans l'allégresse et la simplicité de cœur".

Rien d'étonnant à cela. Plus étonnant, le témoignage de l'Evangile, qui nous rapporte que le soir de la résurrection, les disciples étaient rassemblés. Eux qui avaient été dispersés quarante-huit heures auparavant, au moment de l'arrestation et de l'exécution du Maître, les voilà qui éprouvent le besoin de se retrouver. C'est donc bien une des principales caractéristiques, la plus visible, des disciples de Jésus : ce besoin de se rassembler.

Et aujourd'hui encore...

Savez-vous quel surnom on donne aux jeunes catholiques des grandes écoles ? On les appelle (et ils s'appellent eux-mêmes) les "talas", car - et c'est un jeu de mot - ils sont ceux qui "vont-à-l’église". Voilà. Un chrétien, c'est celui qui va à au culte. Vous me direz : il n'y a pas que cela ! C'est vrai. Mais il y a d'abord cela. La participation à une assemblée chrétienne est le geste le plus spécifique, le plus particulier, le plus propre des chrétiens. Il définit l'identité des chrétiens, donc, sépare les chrétiens des non-chrétiens. Quelques simples indices : encore aujourd'hui, c'est comme cela que les chrétiens sont perçus de l'extérieur : "Celui-là, il va à la messe". Et pour un certain nombre de chrétiens, le décrochage par rapport à l'Eucharistie n'est-il pas le signe premier d'un décrochage plus large par rapport à l'Eglise ?

De la théorie à la pratique.

Cela, c'est la théorie. Mais, en fait, qu'en est-il ? Combien de chrétiens, aujourd'hui encore, ne considèrent leur pratique religieuse que sous l'angle d'une obligation. L'obligation d'aller au culte chaque fin de semaine. Et si on raisonnait en termes de plaisir ? J'ai un paroissien qui souvent m'a dit : "Le dimanche matin, quand je me réveille, je me dis : C'est dimanche : chouette, on va retrouver les copains." Hier encore, en sortant de la messe, une jeune maman, institutrice dans notre quartier, me disait : "Quel bonheur, que ce temps que nous venons de passer ensemble, aujourd'hui comme chaque dimanche !" Elle exprimait son plaisir d'avoir vécu des moments privilégiés, dans une ambiance chaleureuse. Je ne vais pas idéaliser. Je sais combien c'est difficile de créer une ambiance fraternelle, dans les paroisses de grandes villes où règne un anonymat peu favorable à la communication ; et de même dans les petites églises de campagne, où le trop petit nombre de fidèles nuit certainement à l'expression chaleureuse de notre foi. Mais...

Du commencement à la fin.

Autrefois, quand on entrait à l'église, après avoir pris de l'eau bénite, fait le signe de la croix et une génuflexion, on s'installait tranquillement à sa place, en attendant que ça commence. Et selon le vieux principe "on ne parle pas à l'église", on gardait le silence. Il y avait là, peut-être, quelque chose de valable, dans la mesure où l'on mettait à profit ce temps de silence pour se préparer, mais... Depuis quelques années, ici comme ailleurs, les paroissiens qui entrent à l'église prennent le temps de se saluer, de se parler, de s'accueillir, et d'accueillir les gens "de passage". C'est une bonne manière de se préparer à la célébration. Dès cet instant, une ambiance de cordialité joyeuse s'installe, jusqu'à ce que l'orgue rappelle qu'il est l'heure de célébrer. Alors, chacun prend place et la procession d'entrée peut avoir lieu.

A la fin de la célébration dominicale, bien sûr, certains partent rapidement. Mais beaucoup restent devant l'église (quand il ne fait pas trop froid) ou dans l'église (s'il pleut) pour échanger fraternellement. Un certain nombre, même, prolongent la rencontre par le traditionnel "pot de l'amitié" qui a lieu chaque dimanche dans une salle attenante. C'est dimanche, on prend son temps. Dans ma jeunesse, les hommes, à la sortie de la messe, allaient au café, et souvent la séance durait longtemps... au grand dam des cuisinières.

Assemblés, mais pour quoi faire ?

Tout ceci pour vous dire l'importance que j'attache à cet aspect premier de l'Eucharistie que nous célébrons chaque dimanche : c'est une Assemblée Chrétienne qui célèbre. Relisez les textes de la liturgie : ils emploient tous le "nous" pour s'adresser au Père, par Jésus Christ, dans l'Esprit Saint. C'est tellement vrai que, sauf dispense particulière ou cas de force majeure, le prêtre n'a pas le droit de célébrer seul l'Eucharistie. Il faut qu'il y ait au moins "deux ou trois rassemblés en son Nom" pour que Jésus soit au milieu de nous.

Bien ! Nous nous réunissons chaque dimanche, mais pour quoi faire ? Est-ce que notre assemblée n'est qu'une espèce de club où des copains aiment se retrouver parce qu'ils ont des centres d'intérêts ou des jobs communs ? Qu'est-ce qui nous pousse à nous rassembler?

"Répondre à l'appel du Ressuscité et réaliser ensemble le signe de l'Eglise visible sont deux perspectives qui font saisir que l'importance de la célébration du dimanche ne relève pas d'abord d'une loi ou d'un précepte à satisfaire, mais bien plutôt d'une nécessité vitale et d'une exigence intérieure de la foi de tous les chrétiens, du peuple chrétien en tant que tel. C'est pourquoi l'Eglise n'a jamais cessé de se réunir chaque dimanche, quel qu'ait été le danger que cela lui a fait courir au long de son histoire Tout est dit en quelques mots.

3 - Fuyez l'anonymat. Si vous êtes de passage dans une paroisse, essayez de vous faire reconnaître. Heureuses les paroisses qui ont le souci constant d'accueillir ceux et celles dont le visage leur est inconnu, sans curiosité indiscrète ! Nous vivons dans un siècle d'individualisme forcené. Il faut souhaiter que les chrétiens, disséminés dans ce vaste monde de l'anonymat, puissent encore apparaître comme ceux qui aiment s'assembler pour célébrer, prier et chanter ensemble, et donner ainsi le plus beau témoignage de la fraternité universelle.

Un curé de campagne

 

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