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A la recherche de Dieu
"Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer... et comme c'est justement le cas, l'homme s'en est chargé !". Quiconque lance une telle boutade est presque certain de faire son petit effet : on jugera son discernement éclairé et affranchi de toute naïveté, son humour subtil et son raisonnement libre.
Mais sérieusement, de la réponse que l'on donne à un tel questionnement dépend bien souvent la décision des uns de se libérer du scepticisme ambiant en s'ouvrant à la foi, et celle des autres de se retrancher derrière un athéisme intraitable. Comment savoir ? Une piste intéressante consiste à voir si Dieu (ou les dieux) des différentes religions ressemble(nt) vraiment ou non à l'homme. On pourra alors espérer distinguer les constructions purement humaines et culturelles, d'une foi véritablement transcendante parce qu'universelle. A la recherche de Dieu (ou du non-Dieu)... La thèse de l'origine strictement humaine du concept divin s'est principalement diffusée au XIXème siècle. Parmi ses défenseurs figure l'anthropologue Edward B.Tylor, lequel s'est rendu célèbre par sa vision essentiellement évolutive des sociétés, y compris à propos de leurs systèmes religieux (1). Selon lui, la religion en général, loin d'avoir des causes surnaturelles, aurait eu des origines évolutives naturelles, l'homme s'étant, à chaque degré historique de la progression des civilisations, forgé des croyances calquées sur la structure sociale de l'époque, et visant à légitimer celle-ci. À commencer par le cerveau de quelque sauvage des temps anciens, lequel, ne disposant pas des lumières scientifiques pour expliquer les phénomènes physiques, aurait imaginé l'animisme, consistant à croire qu'une divinité se cache derrière chaque élément naturel. Après quoi l'homme, s'étant choisi des chefs et des rois, aurait transposé cette structure hiérarchique dans l'univers religieux, d'où par exemple le Panthéon des dieux gréco-romains, avec Zeus-Jupiter à leur tête. Et lorsque la monarchie est devenue absolue, l'humanité n'aurait plus toléré qu'un Dieu unique omnipotent. La noblesse aurait, avec la complicité du clergé, invoqué l'existence d'un ordre semblable dans les Cieux, régentés par un Dieu omnipotent. D'où le nécessaire reflet de cette prétendue réalité spirituelle sur le monde terrestre et sur son système hiérarchique. Et voilà comment l'autocratisme de Louis XIV aurait été baptisé "de droit divin". Edward Tylor voulait ainsi prouver que le principe monothéiste ne pouvait exister que dans les civilisations les plus évoluées, et non pas parmi les peuples primitifs. Pour cela, il envoya aux quatre coins du monde des phalanges de jeunes anthropologues, de manière à illustrer ses thèses. Ceux-ci rapportèrent que les peuplades tribales ne se préoccuperaient que des formes religieuses les plus simplistes (les mânes des ancêtres, la sorcellerie et autre chamanisme, les tabous et l'animisme le plus basique) mais relevèrent également un phénomène assez inattendu, pour ne pas dire troublant. Ils découvrirent qu'à côté de ces formes religieuses 90% des croyances tribales étaient fortement imprégnées de croyances en un Dieu unique, créateur de la terre et du ciel, invariablement bon, et impossible à représenter par une quelconque idole (2). Bref, un constat aux antipodes de celui espéré par Tylor, Huxley, Spencer et consorts. Ce fut d'ailleurs pour ne pas embarrasser ces derniers que leurs disciples très disciplinés minimisèrent ces résultats plutôt gênants, sinon les supprimèrent carrément... Cet édifiant exemple de rigueur intellectuelle et de bonne foi scientifique fut rapporté par le docteur Wilhelm Schmidt en 1934 (3). Schmidt relate comment tous les anthropologues préférèrent aveugler le public plutôt que de troubler leurs grands prêtres. Tous, sauf un : Andrew Lang fut le seul à dénoncer publiquement la suppression de ces pièces à conviction. Etant donné que la croyance en un Dieu unique, créateur et bon, constitue un point commun à quasiment tous les peuples non atteints par les grandes religions, il va de soi qu'on ne peut l'attribuer à l'imagination spécifique de telle ou telle ethnie. D'où provient alors cette présupposition monothéiste universelle, et quelle signification lui attribuer ? "Nous n'en savons rien", répondent aujourd'hui les scientifiques les plus honnêtes. Pourtant, l'hypothèse la plus vraisemblable n'est-elle pas celle-ci : c'est qu'il y a en l'homme une prescience ineffaçable de la réalité d'un Être Suprême, auteur de toutes choses. Cette conscience de l'existence de Dieu ne pourrait provenir, à en juger par sa permanence dans les peuplades les plus proches de l'âge de pierre, que de temps aussi anciens que la fondation même de l'humanité... On remarquera en outre que le fait de ne pouvoir représenter le Créateur, tel qu'il ressort dans l'étrange unanimité des traditions tribales évoquées plus haut, rejoint tout à fait la conception du Dieu unique de la Bible... Dès 1500 avant J.C., l'Ancien Testament exclut clairement la possibilité d'attribuer à Celui qui nous transcende un aspect concret, non seulement en commandant aux Israélites de ne faire aucune représentation de la divinité (c'est l'un des dix commandements), mais aussi en n'indiquant la présence de l'Eternel que sous des apparences variables et relativement abstraites (feu dans un buisson pour Moïse ; murmure doux et léger pour Elie...). Posons-nous maintenant la question des caractéristiques des croyances et des caractéristiques de Dieu, pour voir s'il y a adéquation...
A suivre en dessous de ce texte
Caractéristiques des croyances et caractéristiques de Dieu
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Si Dieu est Dieu, cela signifie qu'il n'est pas soumis aux limitations auxquelles sont assujettis les êtres dotés d'un corps physique, contrairement à ce que prétendent certaines sectes dérivées du christianisme, par exemple celle des Mormons, pour qui Dieu aurait "un corps en chair et en os aussi tangible que celui des hommes"(4). On peut difficilement aller plus loin dans l'anthropomorphisme divin...
L'absence de limite dans le temps paraît être la première des caractéristiques que devrait avoir une divinité digne de ce nom. Certaines religions orientales ont tenté de faire croire à l'éternité de la matière. La Bible s'inscrit en faux contre de telles conceptions, confirmant avant même qu'elles n'existent les théories des astronomes à propos d'un début de l'univers et concernant la mort inéluctable des étoiles. Au sujet de Dieu, la Bible est claire : "Avant que les montagnes soient nées et que tu aies donné un commencement à la terre et au monde, d'éternité en éternité tu es Dieu", (Psaume 90, v.2). À Moïse qui lui demandait Son Nom, Dieu a répondu : "Je suis", tout simplement, c'est-à-dire "J'existe, d'âge en âge, et avant même que tout autre être n'ait été appelé à l'existence". L'éternité fait partie intégrante de l'identité du Divin. On sent qu'il y a là quelque chose qui défie toute imagination humaine, imagination visible dans les mythes hindouistes ou amérindiens où l'on voit nombre de divinités naître à l'instar des humains. L'intemporalité n'est pas le seul attribut divin qui vaille d'être examiné pour éclairer la problématique qui nous occupe. Il y a aussi l'omniprésence. On trouve une variante de cette idée dans diverses religions du monde, mais, selon certaines, l'univers contiendrait la divinité, la deuxième se résumant donc au premier. On appelle cette conception le panthéisme. Dieu serait en toute chose, mais pas plus. Et de là à affirmer que "toute chose est Dieu", il n'y a qu'un pas que n'ont pas hésité à franchir certains courants religieux, tels la secte de la scientologie, ou bien encore l'hindouisme. Les 330 millions de divinités hindoues en sont un exemple frappant. Mais confondre la création avec le Créateur, c'est ouvrir la porte à toutes les idolâtries et si l'on n'admet pas l'existence d'un Dieu extérieur au monde et supérieur à lui, c'est finalement comme s'il n'y avait point de Dieu. Voilà pourquoi le philosophe allemand Schopenhauer disait que le panthéisme n'était en fait qu'un athéisme courtois... La Bible dit que Dieu est omniprésent, agissant au sein de l'univers, mais elle n'en proclame pas moins qu'il est tout aussi transcendant, autrement dit indépendant du monde visible : "Les cieux, et les cieux des cieux ne peuvent contenir le Seigneur" (1er livre des Rois, chap.8, v.27). Une telle conception dépasse l'homme et sa capacité d'imagination : n'est-ce pas un élément en faveur d'une révélation d'en haut plutôt que d'une invention ? Hélas, bien souvent, lorsque l'entendement humain se sent débordé, il cherche à compacter ce qui lui parait trop grand de manière à espérer le contenir, même si le prix à payer est la dénaturation complète ou partielle de l'objet de ses réflexions. Ce faisant, il incinère l'Être Suprême de façon à pouvoir au moins en conserver quelques cendres dans le petit pot de sa conscience. C'est mort, mais du moment que cela paraît philosophiquement séduisant, c'est bon à prendre... Ainsi donc, l'omniprésence de Dieu s'est trouvée réduite au panthéisme et sa transcendance au déisme. Le déisme prétend en effet que la création n'aurait plus aucun lien avec son Créateur, lequel, après avoir donné la chiquenaude initiale au monde, l'aurait laissé aller sans plus s'occuper de lui, un peu comme un horloger remonte son horloge en la laissant ensuite fonctionner sans la moindre intervention de sa part. L'horloge et l'horloger... Les connaisseurs auront certainement reconnu l'expression de Voltaire, grand prêtre du déisme. Mais le déisme, sous couvert de reconnaître Dieu, n'est en réalité qu'une autre façon de nier son existence. En effet, si l'on pense que Dieu est totalement absent du monde actuel, on n'est en pratique pas plus avancé qu'un athée qui, n'espérant aucune intervention surnaturelle, en est réduit à chercher des substituts à droite ou à gauche. On peut penser d'abord aux substituts africains ou asiatiques où le déisme dégénère généralement en polythéisme teinté de spiritisme : on invoque les ancêtres et autres esprits, souvent parce que les légendes traditionnelles ont véhiculé l'image d'un Dieu inaccessible, mécontent des hommes, retiré en ses appartements célestes. En Occident, le déisme des Lumières a imposé au citoyen la raison humaine comme substitut et guide suprême en matière de conviction : c'est le rationalisme. Ce qui nous a même valu en France d'avoir droit à l'érection d'une statue de la déesse raison lors de la révolution de 1789 ! Talleyrand déplorait cette idéologie, et s'adressait ainsi au Directoire : "Votre culte de la Raison ne fait pas de progrès parmi le peuple, me dites-vous, et cela vous chagrine ? Je vais vous indiquer le moyen de réussir : Faites des miracles, ressuscitez les morts, guérissez les malades, chassez les démons ; puis soyez enseveli, ressuscitez le troisième jour, et continuez à faire des miracles. Vous convaincrez mieux les hommes de la vérité de votre religion...". Par la bouche de ses prophètes, Dieu déplore aussi dans la Bible ces milliers de cas à travers l'histoire où l'homme, tenaillé par un féroce appétit d'indépendance, a finalement préféré s'inventer de médiocres substituts. Elle regrette que le refus humain de se reconnaître créé par le Tout-Puissant dégénère si souvent en une création factice de dieux (aujourd'hui ce sont nos passions, des stars, notre confort...), ou en une divinisation non-dite de l'homme. La religiosité et les superstitions ne sont qu'une inversion et une falsification de la Foi. La vraie question : spiritualité nourrissante ou non ? |
Posons-nous la question : nos croyances réussissent-elles à étancher notre soif spirituelle ? Oh, certes, lorsqu'on est en société, on joue le jeu. On s'exprime ainsi : "Le mal et la souffrance dans le monde sont la preuve que Dieu n'existe pas ou s'il existe, qu'il ne s'intéresse pas à nous".
Seulement voilà, dans le secret de nos vies privées, vers qui nous tournons-nous ? Pourquoi les citoyens "raisonnables" que nous sommes se retrouvent-ils dans le cabinet des astrologues, dans des cercles de partage bouddhistes ou ésotériques ? L'homme moderne ressemble décidément beaucoup à l'homme antique... Tout simplement du fait d'une constante inaliénable chez lui : sa dimension spirituelle. Chateaubriand l'avait bien vu : "Ce qu'il y aura d'étonnant, [pour les philosophes], c'est qu'au milieu des maux qu'ils auront causés, ils n'auront même pas la satisfaction de voir le peuple plus incrédule : [car celui-ci], en affectant de mépriser la puissance divine, ira interroger la bohémienne, ou chercher ses destinées dans les bigarrures d'une carte. Il faut du merveilleux, un avenir, des espérances à l'homme, parce qu'il se sent fait pour l'immortalité. Les conjurations, la nécromancie, ne sont chez le peuple que l'instinct [de la spiritualité], et une des preuves les plus frappantes de la nécessité d'un culte. On est bien prêt de tout croire quand on ne croit rien ; on a des devins quand on n'a plus de prophètes, des sortilèges quand on renonce aux cérémonies religieuses, et l'on ouvre les antres des sorciers quand on ferme les temples du Seigneur !" (5) Pour finir, contrairement au déisme, la Bible atteste que Dieu, créateur du monde, continue à s'occuper de lui : "si Dieu ne pensait qu'à lui-même, s'il ramenait à lui Son Esprit et Son souffle, toute chair périrait en même temps" (livre de Job, chap.34, v.14-15). Mieux, même : Elle révèle qu'il est venu jusqu'à l'homme sous la forme du Christ. Dieu nous aime et cela l'a poussé à venir dans notre monde de misère et de méchanceté. Il a vécu comme un homme parmi les hommes, connaissant la pauvreté et la souffrance, la faim et la soif, la trahison et l'injustice, la torture et l'angoisse, le désespoir et la mort enfin. Dieu a passé par le pire chemin où l'on puisse passer. Et non seulement il a partagé la souffrance humaine, mais encore et surtout il a pris sur lui tous les préjudices commis par chacun de nous au cours de notre vie terrestre, s'attaquant ainsi au problème du mal qui est à l'origine de la souffrance. Enfin, par sa résurrection, il donne une espérance réelle à tous ceux qui l'acceptent dans leurs cœurs. Dieu a beau être partout, dans l'univers comme hors de lui, il ne demeure pas partout : seulement chez les hommes et les femmes qui désirent avoir une relation personnelle avec lui et acceptent son intervention providentielle dans leur vie. "Dieu habite là où on le laisse entrer", disait fort justement le philosophe Martin Buber. |
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